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Accuracy Talks Straight #3 – Zoom sectoriel

Accélerer la filière hydrogène

Jean-François Partiot
Associé,
Accuracy

Hervé de Trogoff
Associé,
Accuracy

Depuis quelques années, l’hydrogène est présenté comme la solution miracle pour développer les transports propres et permettre le stockage d’énergie à grande échelle.

La combustion finale de l’hydrogène, dégageant exclusivement énergie, eau et oxygène, est en effet 100% propre et laisse entrevoir un potentiel prometteur.

Le bilan carbone de sa production est en revanche extrêmement variable selon son origine. La filière hydrogène n’est pas nécessairement propre et seul l’hydrogène décarboné attise les convoitises.

– Historiquement, l’hydrogène industriel – ou « gris » – est produit à partir d’énergies fossiles carbonées et son bilan environnemental est insatisfaisant, voire mauvais, tant que le CO2 issu de sa production n’est pas capturé. L’hydrogène « gris » est un sous-produit « fatal » du raffinage pétrolier (désulfuration du pétrole) et de la production d’ammoniac. Plus de 90% de l’hydrogène produit dans le monde est « gris » et cette part est vouée à baisser drastiquement au profit des hydrogènes « vert » et « bleu ».

Toutes les attentions se concentrent aujourd’hui sur la production d’hydrogène « vert », i.e. produit à partir d’électricité décarbonée (solaire, éolien, nucléaire, hydraulique) ;

– Certains chercheurs veulent aussi croire en l’exploitation de l’hydrogène « blanc », c’est-à-dire d’origine naturelle. Aussi étonnant que cela puisse paraître, les connaissances sur l’existence et les possibilités d’extraction de cet hydrogène natif sont encore embryonnaires. L’hydrogène « blanc » reste pour l’instant le rêve de quelques pionniers. Les connaissances à son sujet sont embryonnaires, les volumes accessibles méconnus. Le cycle de recherche et d’éventuel développement sera long. Si jamais cette voie s’avérait économiquement viable, elle serait très probablement explorée par les grands énergéticiens pétroliers (métier d’extraction in-situ)

– Enfin, les grands groupes pétroliers et pétrochimiques plaident pour une phase transitoire autour de l’hydrogène « bleu ». Produit à partir du gaz naturel, il pourrait devenir propre sous réserve de captation complète des émissions de CO2 et de méthane associées.

POUR LES DÉCENNIES À VENIR, LES HYDROGÈNES « VERT » ET « BLEU » SERONT LES AXES MAJEURS DE DÉVELOPPEMENT DE LA FILIÈRE ÉNERGÉTIQUE.

Cette ambition se heurte à trois contraintes.

CONTRAINTE 1 : Demande versus Capacité

« RIEN N’EST PLUS IMMINENT QUE L’IMPOSSIBLE »
Victor Hugo, Les Misérables

Les attentes environnementales autour de la filière semblent aujourd’hui démesurées tant les besoins en capacité de production d’énergie sont gigantesques pour envisager de décarboner une part significative du marché. Pour rappel, la consommation énergétique globale sert principalement l’industrie (29%), les transports terrestre et aérien (29%) et la consommation résidentielle (21%).

AUJOURD’HUI, LA FILIÈRE HYDROGÈNE COUVRE MOINS DE 2% DE LA CONSOMMATION ÉNERGÉTIQUE MONDIALE.

Pour couvrir la consommation mondiale d’énergie en 2030, il faudrait couvrir la superficie de la France en panneaux photovoltaïques selon Land Art Generator (US). Sous réserve que ceux-ci bénéficient d’un rayonnement solaire optimal et constant et que leur rendement soit maximal. Les rendements observés du solaire étant aujourd’hui de 25%, il faudrait plutôt compter sur 4 fois la superficie de la France pour arriver à nos fins.

Ces chiffres nous laissent à comprendre pourquoi les grandes puissances pensent aujourd’hui à réinvestir massivement dans la filière nucléaire et sécurisent leurs accès aux gisements d’uranium dans le monde. Redéployer massivement la génération d’électricité nucléaire pourrait permettre de résoudre l’équation environnementale à 50 ans (réchauffement climatique – objectifs du GIEC). Avec néanmoins plusieurs sujets majeurs à régler, dont le traitement et stockage des déchets nucléaires et les questions de sécurité nucléaire. Mais l’horizon attendu de résolution de cette équation étant de l’ordre du millénaire, certains auront tôt fait de résoudre l’arbitrage.

CONTRAINTE 2 : Un cycle de développement incompressible des grands projets

« LA DIFFÉRENCE ENTRE LE POSSIBLE ET L’IMPOSSIBLE SE TROUVE DANS LA DÉTERMINATION »
Gandhi

Les procédés actuels d’électrolyse offrent un rendement énergétique faible et la filière d’hydrogène vert nécessitera la construction de gigafactories dont la technologie, le design et la montée en puissance ne sont pas encore maîtrisés.

Malgré toutes les tentatives d’accélération, il est question de grands projets et leur cycle de développement est normé. Il faut passer par un pilote / démonstrateur de 10 à 20 MW avant de se lancer dans la construction de sites de 100 MW, qui correspond actuellement à la capacité d’entrée cible pour jouer dans la cour des grands.

Ces grands projets suivent le cycle classique en ingénierie de grands projets présentés ci-dessous. Si nous prenons comme référence le procédé de liquéfaction du gaz naturel, qui se rapproche le plus en complexité d’ingénierie et de construction de celui de l’électrolyse à grande échelle, Il faudrait compter entre 5 et 7 ans pour aller de l’étude de faisabilité initiale à la mise en route du site pilote.

En admettant que le retour d’expérience du site pilote puisse être mené en parallèle des études de faisabilité et de conceptuel d’une gigafactory, il faudrait compter 5 à 7 ans supplémentaires pour parvenir à une gigafactory en état de fonctionnement.

Il est enfin raisonnable d’imaginer que l’usine de 100 MW sera composée d’unités indépendantes, ou « trains », dont les mises en service seront séquentielles sur une période additionnelle de 12 à 24 mois.

Selon ce schéma, il faudrait compter autour de 15 ans au total pour opérer une gigafactory en production effective de 100MW.

Cycle d’ingénierie de grands projets

POUR ACCÉLÉRER LE CYCLE DE DÉVELOPPEMENT DE CE TYPE DE PROJETS, IL EST ENVISAGEABLE DE JOUER SUR LES LEVIERS SUIVANTS :

• Sélectionner directement des prestataires qualifiés sans en minimisant les phases d’appel d’offres. De notre expérience de grands projets similaires, la solution de sélection par ‘’open book’’ est celle qui permet de réduire les temps d’appel d’offre tout en gardant un contrôle effectif sur les CAPEX. Ce levier permet de raccourcir les phases d’appels d’offres et 12 mois peuvent être gagnés.

• Paralléliser la construction du pilote d’une part et l’obtention des autorisations administratives et environnementales sur le site de la gigafactory d’autre part. Ce levier permettrait de réduire le cycle de quelques mois.

• Mettre en route de manière séquentielle la capacité de l’usine, segmentée en « trains » disjoints, et permettre ainsi de gagner de quelques mois à un an d’avance sur le démarrage de la production.

• Lancer l’ingénierie et la construction de la gigafactory en parallèle du démonstrateur et gérer le retour d’expérience du démonstrateur en termes d’optimisation de procédés en retrofit (approche disruptive rare mais efficace).

• Accélérer les cycles d’ingénierie et de construction en acceptant de financer un projet plus coûteux et en mobilisant plus de ressources à un instant t ;

DANS L’URGENCE, DES LEVIERS PLUS DISRUPTIFS SONT ENVISAGEABLES :

• Lever des contraintes administratives et environnementales et les délais associés ;

• Développer des outils (IT, IA) permettant d’accélérer significativement les étapes d’engineering ;

• Travailler à des unités plus capillaires mais industrialisables en série ; Dans tous ces cas, il faut accepter que le coût et le risque associés au levier d’accélération seront bien supérieurs à ceux d’un cycle de développement conventionnel.

CONTRAINTE 3 : Contrainte financière

« SI TU DOIS DEMANDER COMBIEN ÇA COÛTE, TU NE PEUX PAS TE LE PERMETTRE. »
John Pierpont Morgan

Développer la filière hydrogène « vert » requiert des investissements massifs et continus. Les grandes puissances l’ont enfin compris et acté : plus de 30 pays ont annoncé près de 300 milliards d’euros d’investissements pour développer la filière.

Mais ces investissements très significatifs semblent encore insuffisants face au mur carbone au pied duquel la planète se trouve. Selon les calculs de l’Energy Transition Commission (ETC) partagés en avril 2021, il faudrait investir 15 000 milliards de dollars entre 2021 et 2050 pour décarboner le marché mondial de l’énergie. Ce serait tout simplement 50 fois plus que ce qui est annoncé à date.

Comme l’exprime clairement Bill Gates via son initiative Catalyst de Breakthrough Energy, les mondes scientifiques, politiques et économiques ont déjà fait la démonstration de leur capacité à accompagner l’innovation énergétique et à lui donner un cadre de développement favorable. C’est ce qui a été réalisé ces dernières décennies avec l’énergie solaire, éolienne ou les batteries lithium-ion.

Mais en 2021, nous n’avons plus le luxe d’attendre des décennies. Nous devons collectivement faire un saut quantique pour accélérer l’innovation dans la décarbonation et sa mise en oeuvre.

Il s’agit d’investir (i) dans des proportions sans commune mesure avec ce qui a été réalisé dans le passé mais aussi (ii) de s’affranchir des modèles de TRI financiers historiques. En résumé :

• Sourcer une masse colossale de capitaux provenant des banques centrales, pays, institutions financières, grandes fortunes et philanthropes ;
• Flécher également une part significative de l’épargne plus capillaire (retraites, fonds de pension, fonds communs de placement);

• Accentuer les incentives aux technologies de décarbonation en mettant en place des schémas plus puissants que les taxes et crédits carbones dont l’effet est spot. En démoyennisant les taux d’intérêts en fonction de l’impact environnemental futur des projets par exemple ;

• Pour une part des capitaux investis, ne pas viser de rendement financier (TRI). L’espérance de gain devenant principalement environnementale.

Breakthrough Energy, qui est un fonds « non-profit », a levé plus d’un milliard d’euros pour son initiative Catalyst fin septembre 2021.

• Pour corollaire, mettre en oeuvre des reportings environnementaux aussi fiables que les reportings financiers.

Les investissements dans la décarbonation sont en train de révolutionner la finance par leur ampleur et par la nature du gain espéré.

Celui-ci sera environnemental et non financier.

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