Nicolas Paillot de Montabert
Associé,
Accuracy
Justine Schmit
Senior Manager,
Accuracy
L’immobilier est-il en haut de cycle ? L’exemple de Paris.
Que penser de la stabilité des prix au m2 de l’immobilier résidentiel à Paris, et ce malgré la crise sanitaire ?
Depuis mars 2020, la pandémie de Covid-19 a profondément bouleversé l’économie mondiale provoquant des changements dans de nombreux secteurs, notamment dans l’immobilier résidentiel.
Cette crise sanitaire est notamment à l’origine d’un bouleversement des paradigmes économiques en place depuis les années 2010. La zone euro fait actuellement face à une augmentation forte de l’inflation qui a atteint 5,2% en mai 2022, un niveau sans précédent depuis 1985. Les conditions d’accès au crédit immobilier pour les particuliers deviennent aussi progressivement plus difficiles.
Pourtant, malgré ce contexte et contrairement aux crises précédentes, le prix au m2 des logements anciens à Paris n’a pas connu de baisse significative et est demeuré relativement stable.
Face à cette situation, deux thèses s’opposent : d’une part, certains considèrent que la hausse constante du prix de l’immobilier ancien à Paris est justifiée par son caractère unique, ville des lumières, la mettant à l’abri des cycles économiques tandis que d’autres s’alarment d’une bulle immobilière dans la capitale qui serait sur le point d’éclater.
FAISONS PARLER LES CHIFFRES
Selon la base de données des notaires parisiens, le prix au m2 des logements anciens est passé de 3 463 €/m2 à 10 760 €/m2 entre 1991 et avril 2022, soit une hausse de l’ordre de 3,6% par an en moyenne. En parallèle, l’inflation s’est élevée, sur la même période, à environ 1,8% par an en moyenne, selon l’INSEE.
En synthèse, la valeur du mètre carré parisien a ainsi crû 2 fois plus vite en moyenne que l’inflation.
Sur le graphique ci-dessous, nous pouvons observer la courbe d’augmentation réelle du prix au m2 de l’immobilier à Paris versus une courbe du prix au m2 de 1991, inflatée ensuite chaque année au taux de l’inflation Insee.
Deux phases peuvent être observées sur ce graphe :
• Sur la période allant de 1991 à 2004, le prix au m2 réel est resté inférieur au prix de 1991 inflaté Insee. Le prix de l’immobilier avait fortement crû sur la période avant 1991 puis subi une correction majeure d’environ 35% entre 1991 et 1997. C’est seulement en 2004 que la courbe du prix immobilier parisien réelle est revenue croiser la courbe inflatée Insee.
Pour mémoire, l’année 1991 marque une année de haut de cycle ayant achevé une phase haussière de spéculation des marchands de biens à Paris et le début de ce qui sera qualifiée par certains experts de « crise immobilière du siècle ».
• Sur la période allant de 2004 à avril 2022, le prix au m2 réel a crû très significativement, bien plus rapidement que l’inflation économique : +5,0% par an en moyenne pour le prix de l’immobilier réel versus seulement +1,8% pour l’inflation. Il y a ainsi une déconnexion majeure entre l’évolution des prix de l’immobilier résidentiel à Paris et l’augmentation moyenne du niveau de vie.
Par ailleurs, il est intéressant de noter qu’entre 2020 et 2022, le prix au m2 à Paris n’a connu aucune variation majeure, contrairement aux crises précédentes (1991 ou 2008).
On observe cependant en ce premier trimestre 2022 le retour d’une inflation significative sans répercussion à ce stade sur les prix réels de l’immobilier.
Est-ce dû à une demande croissante ?
Nombreux sont les défenseurs de la thèse suivante : la demande pour Paris est croissante et confrontée à une offre limitée ce qui a provoqué la hausse constante des prix au m2, et ce même quel que soit la période du cycle économique.
La réalité démographique se révèle, en réalité, bien plus complexe. Ainsi, entre 1990 et 2020, le nombre d’habitants à Paris est passée de 2,15 millions d’habitants à 2,19 millions avec un point culminant de 2,24 millions en 2010. D’autre part, depuis 2021, la population parisienne tend à diminuer progressivement pour atteindre 2,14 millions d’habitants en 2022. En effet, une partie des Parisiens, éprouvée par les restrictions sanitaires, ont décidé de quitter Paris intra-muros pour la petite et grande couronne ou d’autres régions de France.
Cette tendance à la délocalisation hors de Paris intra-muros a également été observée chez les ménages de retour de Londres consécutivement au Brexit.
Cette tendance décroissante s’accompagne d’une augmentation de la pression démographique dans le reste de l’Ile-de-France (hors Paris). Les départements de la Petite et de la Grande Couronne ont vu leur population croître de 8,5 à 10,3 millions d’habitants entre 1990 et 2022.
Ainsi, depuis 1990, Paris connait une dynamique démographique relativement stable amorçant même une baisse depuis 2021. La demande ne semble donc pas permettre de justifier la hausse significative des prix réels de l’immobilier résidentiels à Paris.
Est-ce dû à une offre décroissante ?
A Paris, les volumes de transactions sont plus élevés en période de hausse des prix (entre 35 000 et 40 000 transactions par an en phase haussière) alors que ceux-ci baissent significativement en phase baissière (25 000 à 30 000 transactions).
Il est donc temps de mettre définitivement fin à une idée reçue : la baisse du volume de biens à vendre ne fait pas mécaniquement monter les prix.
La réalité économique est différente : lorsque les prix sont élevés, les propriétaires sont plus enclins à vendre leur bien, soit pour réaliser une plus-value, soit parce qu’ils ont confiance dans le marché et sont disposés à réaliser une opération de vente puis d’achat d’un nouveau bien (souvent dans la séquence inversée d’ailleurs).
A l’inverse, en période de prix décroissants, le marché se grippe. Les propriétaires repoussent au maximum l’éventualité d’une vente dans l’attente de jours meilleurs.
La conclusion à laquelle nous aboutissons est ainsi la suivante : la croissance historique des prix au m2 sur le marché immobilier résidentiel parisien ne s’explique pas par des mécanismes économiques classiques d’offre et de demande.
La dynamique des prix sur ce marché doit même être considérée comme « contra-économique » : l’offre croît en volume lorsque les prix augmentent ; l’offre décroît en volume lorsque les prix baissent.
Lorsque l’on concentre l’analyse sur la crise sanitaire récente, nous observons que les volumes de transactions ont baissé sur le marché parisien. Le marché immobilier résidentiel à Paris a, en effet connu un creux dès le premier confinement, passant de 35 100 transactions par an à 31 200 en 2020 pour revenir à 34 900 sur l’année 2021.
Cette variation s’explique notamment par la structure particulière du confinement, les investisseurs n’ayant plus eu la possibilité de mener à terme la procédure d’achat d’un bien immobilier résidentiel (visites, rendez-vous chez le notaire, déménagement, etc.).
Lorsque les mesures sanitaires strictes ont été levées, le marché immobilier a pu reprendre son activité rapidement.
QUELLES SONT LES CONSÉQUENCES DE LA CRISE DE LA COVID-19 SUR LE MARCHÉ DE L’IMMOBILIER RÉSIDENTIEL À PARIS ?
La modification de nos modes de vie – télétravail et départs de Paris – sous l’effet des restrictions sanitaires devait conduire pour certains investisseurs à une chute des prix de l’immobilier à Paris, voire même à l’éclatement d’une bulle comparable à celle de 1991. Marqués par les confinements successifs et découragés par les conditions plus difficiles d’octroi de crédits immobiliers, les particuliers auraient pu se livrer à un exode massif hors de Paris provoquant une diminution des prix de l’immobilier résidentiel à Paris.
Nous observons sur le graphique ci-dessus, que la crise sanitaire semble n’avoir eu que peu d’impact sur les prix du m2 à Paris. Ces derniers ont connu une stagnation, voire une légère diminution sans pour autour descendre sous les 10 000€/ m2 en moyenne.
QUELS SONT LES DRIVERS RÉELLEMENT EXPLICATIFS DE LA HAUSSE DU PRIX AU M2 DE L’IMMOBILIER RÉSIDENTIEL À PARIS ?
La démographie et l’économie n’étant pas vraiment pertinentes pour expliquer la hausse des prix observés sur longue période, quelles sont les variables réellement explicatives de cette évolution ?
Pour répondre à cette question, nous avons construit un modèle de régression multi-variable exploitant des séries historiques longues (1990-2022) et débouchant sur la conclusion suivante :
Depuis 1990, l’évolution des prix au m2 de l’immobilier résidentiel à Paris s’explique « intégralement » et « mathématiquement » par deux variables financières.
En mots simples, cela signifie qu’il est possible d’expliquer – et potentiellement prédire – le prix au m2 de l’immobilier résidentiel à Paris avec une qualité de prédiction extrêmement élevée et ce à partir de seulement deux variables financières.
– Pour les connaisseurs, notre modèle de régression multi-variable atteint un niveau d’indice de corrélation (R2) de 94%1
La première variable explicative est la suivante :
– Variable 1 : l’écart (ou le « spread ») entre le taux OAT 10 ans France et le taux d’inflation Insee ;
– Comme montré par la graphique ci-dessous, prise isolément, cette variable explique l’évolution du prix au m2 avec un R2 de 79% ;
Ce « spread » représente simplement le taux d’intérêt des emprunteurs retraité de l’inflation économique, soit le taux d’intérêt réel net de l’emprunteur.
Cette variable permet ainsi de prendre en compte l’attractivité des ressources mobilisables par l’emprunteur pour acquérir un bien immobilier résidentiel.
Le spread met en lumière l’impact des taux OAT 10 ans France dans l’évolution des prix immobiliers au m2. En effet, lorsque les taux OAT 10 ans France diminuent, les particuliers voient leur capacité d’emprunt augmenter significativement. Par exemple, si le taux d’emprunt d’un particulier baisse d’un point (100 points de base) alors sa capacité d’emprunt croît d’environ 10%. Or le marché immobilier parisien intègre cette composante dans l’évolution des prix au m2. La baisse des taux a historiquement permis une augmentation de la capacité d’emprunt des acquéreurs mais pas de la surface en m² qu’ils peuvent acheter. Le marché absorbe toute augmentation de la capacité d’emprunt dans les prix au m2.
D’autre part, cette variable prend en compte l’effet de l’inflation sur le marché immobilier. L’année 2017 marque l’apparition d’un effet ciseau entre l’OAT 10 ans France et l’inflation. Les taux d’intérêt demeurent stables tandis que l’inflation redémarre significativement. Pour la première fois, en 2017, le spread (OAT 10 ans – inflation) est passé en négatif, ce qui revient à dire que pour la première fois les emprunteurs particuliers peuvent emprunter à taux réels nets négatifs.
Cet effet ciseau s’est accentué depuis 2018, entraînant la poursuite de la hausse du prix au m2 de l’immobilier résidentiel à Paris entre 2018 et 2020.
Mais depuis 2021, l’augmentation inédite de l’inflation couplée à une stagnation des taux directeurs bas sont à l’origine d’un taux de spread financièrement intenable. Ce dernier passe de (0,6) % en 2020 à (3,6) % en 2022. Sur la même période, les prix au m2 ont commencé à régresser alors même que la hausse du coût de la vie a accéléré.
La volonté actuelle de la BCE de relever ses taux directeurs afin de juguler l’inflation devrait venir graduellement atténuer cet effet ciseau historique. Mais les prix au m2 de l’immobilier résidentiel à Paris ont définitivement entamé une baisse remarquable.
La baisse du spread de taux n’est pas le seul, ni le meilleur driver explicatif de la hausse historique des prix au m2 à Paris.
La seconde variable historique est la suivante :
– Variable 2 : Taille du bilan de la BCE ;
– Prise isolément cette variable explique le prix au m2 avec un R2 d’environ 94%. Elle est elle-même significativement corrélée avec la première variable, en raison de la coordination des décisions d’évolution de la politique monétaire de la BCE sur ces deux variables.
Cette variable met en lumière les conséquences de la politique d’assouplissement monétaire mise en place par la Banque Centrale Européenne sur la valorisation des classes d’actifs financiers dont l’immobilier à Paris fait partie intégrante.
Pour permettre aux membres de l’Eurogroupe de faire face aux différentes crises économiques (y compris la crise sanitaire), la BCE a mis en place depuis 2009 une politique ambitieuse de Quantitative Easing, à l’image de la Fed, ayant pour objectif d’assurer la stabilité de l’euro en injectant une grande quantité de monnaie sur le marché.
La mise à disposition de cette masse monétaire auprès des banques ainsi que le maintien de taux de directeurs bas sont également à l’origine de la hausse historique du prix de l’immobilier résidentiel à Paris.
A partir de nos analyses, il est possible de corréler à 94% l’évolution historique des prix au m2 à Paris avec la taille du bilan de la BCE.
Le graphique ci-dessous présente l’évolution du bilan de la BCE, en progression constante depuis 2009.
Cette forte croissance conventionnelles pour répondre aux crises traversées par l’Euro-système en 2009, 2011 et 2020. En rachetant massivement les titres de dettes publiques et privées sur le marché européen pour servir les demandes de refinancement de la part des banques, la BCE crée des conditions favorables de financement de la zone euro dans un contexte de crise et de taux d’intérêt très bas.
Depuis 2009, la BCE a mis en place deux ambitieux programmes d’achats nets d’actifs : l’Asset Purchase Program (APP) et le Pandemic Emergency Purchase Program (PEPP).Ces derniers sont à l’origine d’une augmentation sans précédent du bilan de la BCE depuis sa création. Cependant, alors qu’entre 2020 et 2022, on observe un nouveau doublement du bilan de la BCE, le prix du m2 de l’immobilier à Paris a connu une légère diminution contre une très forte augmentation sur la période 2011-2021. Cette rupture de tendance est majeure.
CONCLUSION
Sur longue période historique, nous avons observé que l’évolution du prix au m2 à Paris est fortement corrélée à la politique monétaire du régulateur européen et ce via deux variables : le spread (OAT 10 ans – inflation) et la taille du bilan de la BCE.
Entre 1999 et 2020, une formule mathématique a permis de prédire avec un taux de pertinence élevé l’évolution du prix du m2 à Paris. Pour ce faire, il suffisait d’écouter le banquier central européen, anticiper et modéliser ses décisions.
Mais les années 2021 et 2022 sont marquées par un changement drastique des indicateurs macroéconomiques.
L’inflation retrouve des niveaux jamais égalés depuis les années 1970 (5,2% en mai 2022) ce qui provoque un dérèglement du taux de spread. De même, la décision de la BCE de mettre en place un plan de rachat des dettes massifs dans le contexte de la crise sanitaire a conduit à un doublement de la taille de son bilan monétaire sans effet notable sur le prix du m2 à Paris.
Les deux variables qui furent le moteur de la hausse des prix depuis 1999, n’expliquent plus, depuis 2020, l’évolution du prix au m2 de l’immobilier résidentiel à Paris. Le modèle est grippé.
Ce fait marque probablement l’entrée dans une période attentiste pouvant entraîner une baisse conjointe des volumes et des prix du m2 (versus l’inflation).
Reste à savoir combien de temps l’investisseur immobilier de 2020 devra encaisser la correction de marché en cours et si l’immobilier parisien jouera bien son rôle de valeur refuge comme lors de la période inflationniste de 1970.