Édito
Nicolas Barsalou
Associé, Accuracy
LA CRISE ET CE QUI S’ENSUIVIT*
La crise que nous traversons depuis bientôt un an et demi n’a pas d’équivalent dans l’histoire moderne. Ce n’est ni une crise cyclique classique, ni même une réplique de la grande crise financière de 2008. Il serait donc dangereux de penser que nous en sortirons de la même manière que les crises précédentes.
Que constatons-nous ? Deux mots permettent d’approfondir l’analyse.
Le premier est « contraste ». Ce n’est certes pas la première fois qu’une crise économique affecte plus sévèrement certaines zones géographiques, et notamment dans le cas présent l’Europe plus que l’Extrême-Orient. En revanche, c’est la première fois que nous observons une telle diversité en matière d’impact sur les différents secteurs économiques. Ainsi certains secteurs sinistrés mettront au mieux plusieurs années à retrouver la situation de 2019, comme le transport aérien ou le tourisme. A contrario, d’autres secteurs ont tiré parti de la crise, comme les activités en ligne (e-commerce, vidéo, jeux) ou ont pu servir de valeur refuge, comme le luxe.
Le deuxième mot est sans doute « incertitude ». Compte tenu d’un contexte géopolitique tendu et des injections sans précédent de capitaux dans l’économie, l’embellie actuelle pourrait déboucher à relativement court terme sur une autre crise de nature plus classique, d’autant plus sérieuse que toutes les plaies récentes n’auront pas cicatrisé.
En tant que conseils de nombreux acteurs de la vie économique partout dans le monde, nous observons une dé-corrélation inédite entre certaines situations de marché et l’état général de l’économie. D’une part, le marché des fusions-acquisitions, dopé par une abondance sans précédent de liquidités, a rarement sinon jamais connu une telle exubérance en volume comme en prix, et ce bien avant la sortie de crise. D’autre part, le marché des restructurations des entreprises est lui aussi et simultanément très actif, porté en particulier par les renégociations bancaires dans certains secteurs en difficulté. Ce paradoxe n’est qu’apparent : compte tenu des éléments rappelés ci-dessus il est possible et donc naturel d’observer ces deux tendances à la fois.
Dans ce contexte, il convient à notre avis plus que jamais pour tous les acteurs de la vie économique et financière d’éviter les comportements moutonniers et d’analyser chaque cas de manière individualisée et sur-mesure.
Le cas le plus intéressant est sans doute celui de secteurs qui sont traversés à la fois par ces deux courants positif et négatif. Le secteur de l’immobilier est particulièrement pertinent car il est traversé par des mutations profondes et durables, auxquelles s’ajoutent les effets de la dernière crise. Examinons à ce ti t re deux sous-secteurs représentatifs : l’immobilier commercial et l’immobilier de bureaux.
Le premier est affecté depuis longtemps maintenant par le développement for t et pérenne du e-commerce, phénomène qui s’est accéléré en 2020 sous l’effet du confinement et de la fermeture de nombreux centres commerciaux, à tel point que les valeurs des foncières commerciales étaient en fin d’année dernière à un plus bas historique. Notre conviction arrêtée depuis longtemps déjà est que cette baisse des valeurs était excessive et caractéristique de ces mouvements moutonniers déjà mentionnés et non adaptés à l’économie moderne : les centres bien placés, bien gérés et bien aménagés continueront à être des acteurs majeurs du commerce. Il est heureux que, depuis quelques semaines, certains commencent à s’en rendre compte et que les valeurs remontent.
Le deuxième bénéficiait jusqu’à la crise de 2020 d’une conjoncture favorable, en raison d’une inadaptation structurelle de l’offre à la demande et d’une situation de taux d’intérêt réels nuls qui tirait à la hausse les valeurs dites « refuges » comme l’immobilier.
De surcroît, la crise a eu jusqu’ici peu d’impact car, pour l’essentiel, les loyers ont continué à être payés et, compte tenu d’une politique monétaire extrêmement accommodante, les taux de capitalisation et donc les valeurs ont peu évolué. Or, ces deux paramètres sont aujourd’hui menacés. L’essor du télétravail, s’il s’avère pérenne et significatif (au-delà sans doute d’un ou deux jours par semaine), aura inévitablement des conséquences importantes sur la quantité de mètres carrés nécessaires, sur l’aménagement des locaux et sur leur emplacement. Tous ces impacts ne seront pas forcément négatifs : s’il est certain que les grands centres d’affaires comme La Défense ou Canary Wharf souffrent et vont souffrir, les quartiers centraux des affaires pourraient voir leurs valeurs et taux d’occupation continuer à croître.
Quant aux paramètres macro-économiques, et notamment l’inflation, seul un oracle pourrait prédire leur évolution : la seule chose à faire est de rester vigilant et de se donner les moyens d’être anti-fragile grâce à des stratégies privilégiant la flexibilité et l’agilité. À cet égard, il sera extrêmement pertinent de surveiller l’évolution du secteur bancaire, mais ceci sera l’objet d’une autre chronique…
* « LES MYRTES ONT DES FLEURS QUI PARLENT DES ÉTOILES ET C’EST DE MES DOULEURS QU’EST FAIT LE JOUR QUI VIENT PLUS PROFONDE EST LA MER ET PLUS BLANCHE EST LA VOILE ET PLUS LE MAL AMER PLUS MERVEILLEUX LE BIEN »
LOUIS ARAGON
« LA GUERRE ET CE QUI S’ENSUIVIT » (LE ROMAN INACHEVÉ)