Les économies émergentes et en développement (plus avant dans ce « papier », nous les appellerons MEED, pour marchés émergents et économie en développement) ont difficilement traversé la succession de crises vécues depuis 3 ans : sanitaire (la COVID), géopolitique (la guerre russe en Ukraine, les tensions dans les mers de Chine et la rivalité sino-américaine croissante), économique (le retour de l’inflation) et financière (la hausse des taux d’intérêt et du dollar dans un contexte d’endettement, principalement public, qui appelle à la vigilance). Leur croissance, si on exclut la Chine, a davantage reculé en 2020 que celle des économies avancées et le rebond par la suite a été plus modeste. Le retard ne se comblerait pas cette année et l’an prochain.
Les investissements en infrastructures paraissent avoir particulièrement pâti de cette dynamique relativement défavorable. Si on en croit le Global Infrastructure Hub (novembre 2022), en 2021 ceux-ci ont progressé de 8,3% dans les pays à revenu élevé et ont reculé de 8,8% dans ceux à revenu intermédiaire et faible.
Tant et si bien que cette année-là 80% des projets de ce type ont été mis en œuvre dans les économies développées. Comment ne pas « intuiter » que le retour à davantage de confiance pour ce qui est des perspectives de croissance est une condition nécessaire à une reprise des investissements en infrastructures dans les MEED !
Un mot encore avant de regarder devant ; il est nécessaire de bien mesurer l’effet multiplicateur de l’évolution des conditions financières sur le profil de la croissance. Le durcissement de la politique monétaire des principales banques centrales rend le financement des MEED beaucoup plus difficile. Et le constat vaut d’autant plus que le profil de crédit est faible. Selon des observations de la Banque Mondiale, les émissions obligataires pour l’ensemble des pays concernés ont reculé de 250 milliards d’USD en 2022 (beaucoup plus que lors des crises qui ont émaillé les 15 dernières années !), tandis que les écarts de taux souverains ont augmenté de 1740 points de base (17,4%) pour les pays mal notés et importateurs d’énergie.
Selon le FMI, la croissance économique des MEED se stabiliserait autour de 4% cette année et aussi la prochaine. Avec une loupe, on peut déceler une très légère pente haussière (respectivement +4,0% et +4,2% après +3,9% en 2022) ; mais le halo d’incertitude, dans ce moment si compliqué que l’économie mondiale traverse à l’heure actuelle, va sans doute au-delà de l’ampleur proposée de l’accélération. Si la quantification proposée peut paraître enviable par rapport à la performance attendue pour les économies avancées, elle est un peu terne relativement aux performances passées plus proches de 5,5%.
COMMENT ALORS COMPRENDRE CE QUI PEUT APPARAÎTRE COMME UNE RÉSERVE DANS LE DIAGNOSTIC DU FMI ?
Il y a d’abord la nature du rebond attendu de l’économie chinoise. Le retour annoncé à meilleur fortune est une bonne nouvelle pour le reste du monde. D’accord, mais dans quelle mesure ? Pour répondre à la question, il est nécessaire de pousser un peu plus loin la compréhension qu’on peut avoir du rebond économique en cours là-bas. Il trouve son origine dans la levée des contraintes mises au déplacement des personnes. Les bénéficiaires directs seront donc d’abord ceux-ci. Sous leur casquette de consommateurs, ils vont privilégier très probablement les services. N’est-ce pas ce qu’on a pu observer en Europe ou aux Etats-Unis ? Par ailleurs, il paraît raisonnable de donner la priorité à l’hypothèse d’un accompagnement mesuré par une politique économique volontariste. Donner la préférence au triptyque « consommation – services – soutien limité par la politique économique » revient à ne pas suivre le corpus habituel d’une reprise chinoise. Celle-ci est le fruit de relances budgétaire et monétaire, d’endettement et d’investissement. Cette différence entre aujourd’hui et hier fait « toucher du doigt » les limites du bénéfice que les autres pays devraient tirer du « printemps » chinois annoncé. Un coup d’œil jeté sur la composition des importations de l’empire du Milieu le montre bien. La part à destination des ménages est modeste.
Il y a ensuite la politique monétaire américaine. Son réglage ne conditionne-t-il pas à la fois une partie du mouvement des courbes de taux de par le monde et le niveau du dollar contre nombre de devises ? S’il est possible de considérer que l’essentiel du mouvement de remontée du taux directeur de la Réserve fédérale est effectué (il est aujourd’hui en point moyen à 4,63%), 2 aspects demandent à être précisés : où sera situé le plafond pour la phase de remontée en cours et combien de temps restera-t-il à ce niveau ? Face à des pressions inflationnistes qui renâclent à envoyer des signaux clairs de ralentissement et face à un marché du travail toujours tendu, on a envie de répondre plus haut et plus longtemps que le consensus du marché ne l’estime. Il faut alors sans doute conclure que l’environnement de taux américain, s’il devient moins adverse qu’il ne le fut, ne sera pas de suite porteur en matière de formation des conditions financières puis économiques des MEED.
Il y a enfin la capacité de chaque pays émergent ou en développement à relayer, au travers de ses propres capacités de politique monétaire, les initiatives prises à Washington. Cela dépend des équilibres économiques et de change. La situation est assez variable d’une économie à l’autre. Si on se fie à l’échantillon présenté ci-dessous, seule une minorité dispose d’un réel potentiel baissier autre que marginal de son taux directeur ; si tant est bien sûr que la situation américaine le permette.
A LA RECHERCHE DES MARGES DE MANŒUVRE POUR BAISSER LES TAUX DIRECTEURS DANS LE MONDE ÉMERGENT
Et puis, en s’éloignant de l’économie mais en en gardant à l’esprit les implications que cela peut avoir dans ce domaine, comment se désintéresser aux évolutions à venir du côté de la politique ! En la matière, un certain nombre de dossiers sont à suivre de près ; quelques-uns sont déjà anciens et donc bien repérés tandis que d’autres ont jusqu’à maintenant moins retenu l’attention :
- Chine : risque de conflit avec Taïwan, sanctions économiques américaines, hausse du chômage chez les jeunes et sous- dimensionnement du système de retraite
- Brésil : risque d’instabilité politique suite à l’élection de Lula
- Arabie Saoudite : rapprochement avec la Russie et stratégie de réduction de la production de pétrole, parue comme hostile par les Etats Unis.
- Israël : risque de guerre avec l’Iran et conséquences de l’arrivée de l’extrême-droite au gouvernement
- Russie : poursuite de la guerre en Ukraine
- Cycle électoral, avec en particulier les scrutins présidentiel et /ou parlementaire au Nigéria, en Turquie, en Argentine et au Liban.
Ce regard multidimensionnel invite à conclure que 2023 ne se dessine pas sous les auspices les plus favorables pour l’économie des MEED. Pourtant les marchés de capitaux envoient un message beaucoup plus optimiste. Depuis l’automne dernier, les compartiments obligataires et d’actions de la zone émergente se comportent de façon flatteuse par rapport à ceux des pays développés, singulièrement des Etats- Unis. Comment expliquer ce contraste ?
En fait, les investisseurs et les opérateurs de marché font le pari que l’économie mondiale , dont en premier lieu l’américaine, ne basculera pas dans la récession. Malgré des taux de chômage souvent bas, les banques centrales réussiront à ramener l’inflation à des niveaux peu ou prou compatibles avec les cibles définies ; et ceci sans enclencher un recul de l’activité durant plusieurs trimestres. Sous cette perspective, l’appétit pour les risque revient et les marchés émergents d’en profiter !
DES MARCHÉS OBLIGATAIRES ÉMERGENTS QUI REPRENNENT DES COULEURS SUR FOND DE TAUX LONGS AMÉRICAINS MIEUX ORIENTÉS
RETOUR À MEILLEURE FORTUNE DES MARCHÉS ACTIONS ÉMERGENTS?
De quel côté la conviction doit-elle pencher : de l’analyse fondamentale ou du regard des marchés financiers ? Comme il est difficile de se prononcer ! Rappelons simplement que les paris d’un soft landing de l’économie sont durs à gagner ; et sans doute encore plus quand les marchés du travail restent tendus.