Quelles perspectives pour les défaillances d’entreprises ?
Malgré certaines annonces alarmantes et des appréhensions compréhensibles, la vague de défaillances ...
L’ÉLECTRIFICATION DES TRANSPORTS PUBLICS
Retrouvez l’épisode 1 (en anglais) : Trois éléments déterminants pour une électrification rapide de nos transports publics
EN SYNTHESE
Depuis une vingtaine d’années, les prises de conscience écologique dans les décisions politiques et collectives ont conduit de nombreuses villes à travers le monde à mettre la mobilité « propre » au cœur de leurs préoccupations. Il s’agit de développer les véhicules à faibles émissions de polluants locaux (NOx, particules fines, etc.) et de polluants atmosphériques (gaz à effet de serre).
On parle d’un véhicule « propre » lorsque celui-ci produit peu ou pas d’émissions polluantes mais en pratique, aucun véhicule n’est réellement propre. Tous émettent des polluants locaux et des gaz à effet de serre lors de leur fabrication, de leur utilisation et de leur fin de vie.
Cet article traite principalement de la mobilité « zéro émission directe » (nommée zéro émission ou ZE par souci de simplification) qui n’émet aucune pollution directe (d’échappement), à la différence de la mobilité décarbonée qui émet peu ou pas de CO2, et qui elle dépend du mix énergétique de chaque pays.
Les réglementations européennes imposant des transports publics basse ou zéro émission ont fait croître le nombre d’appels d’offres émis par des métropoles pour ces modes de transport et, en France, la loi LTECV (Loi de Transition Energétique pour la Croissance Verte ) programme des investissements dans les infrastructures de transport.
A l’heure actuelle, les bus à batterie électrique sont les solutions les plus avancées d’un point de vue technique et industriel en matière de transport zéro émission. La demande de bus électriques à batterie est donc en forte hausse en Europe et la capacité des opérateurs à mettre en place ces véhicules dans les villes, tout en trouvant un équilibre économique, présente un fort enjeu stratégique.
En amont, la construction d’une filière industrielle de batteries électriques en Europe est en cours afin de répondre à cette demande, de sécuriser l’approvisionnement provenant actuellement majoritairement de Chine, créer des emplois… et également répondre à une nécessité environnementale. En effet, dans les analyses de cycles de vie, lorsque la batterie est fabriquée en Chine, le bilan environnemental du véhicule électrique, en prenant en compte la fabrication et transport, peut être décevant. Cependant, le déploiement de flottes électriques est complexe : il requiert un investissement initial plus important que pour une flotte classique, à la fois pour l’acquisition de la flotte elle-même et pour la mise en place des infrastructures (adaptation et modernisation des centres bus et dépôts, puissance de rechargement, etc.). Il implique de surcroît des contraintes d’exploitation plus lourdes (temps de rechargement, gestion de la performance des batteries, etc.). La mise en place de ces flottes de transport public électrique exige donc des choix financiers et stratégiques complexes de la part des industriels, des investisseurs et des opérateurs.
Le travail de fond que nous avons mené et synthétisé dans le présent document permet de comprendre les évolutions à l’œuvre dans le secteur des batteries électriques, mais aussi d’identifier les principaux leviers de création de valeur, en fonction de divers scénarios à l’échelle de la batterie, du bus ou de la flotte. Nous mettons enfin en lumière d’autres tendances dans la mobilité de demain, qui sont à envisager d’un point de vue aussi bien stratégique (nouveaux business models) que technologique (pile à hydrogène).
A. La production de batteries électriques est actuellement assurée à 90% par l’Asie (60% par la Chine à elle seule). Devant la forte croissance du marché, le désir d’assurer une certaine indépendance et la volonté d’obtenir une réelle amélioration du bilan environnemental, une filière européenne de batteries électriques est en train d’émerger, basée sur plusieurs consortiums.
La construction de cette filière s’accompagne d’une augmenta-tion des capacités de production au niveau mondial, qui aura pour conséquence la diminution du prix d’achat.
B. Les coûts de revient par kWh seront également réduits d’une part grâce aux innovations technologiques en cours, et d’autre part grâce à l’amélioration des techniques de recyclage et à l’augmentation de la capacité des batteries.
C. Notre analyse de la chaîne de valeur et de la structure de coûts d’une batterie a permis d’identifier les étapes de production présentant le plus de valeur ajoutée. Puis, une analyse chiffrée a permis d’évaluer des leviers créateurs de valeur : le Smart Charging ainsi que le recyclage s’avèrent être deux points clés dans la maximisation de la valeur économique de la batterie sur l’ensemble de son cycle de vie.
D. La réalisation de choix stratégiques à certaines étapes clés du cycle de vie de la batterie sont cruciaux pour exploiter au maximum son potentiel de création de valeur. En particulier, la manière de réutiliser la batterie en fin de première vie permet d’optimiser son potentiel économique.
E. Un modèle financier intermédiaire faisant l’articulation entre le modèle du producteur et celui de l’opérateur de bus électriques est en développement : il s’agit du Battery as a Service (BaaS). Ce modèle propose à l’opérateur historique d’utiliser une batterie qui ne lui est ni vendue ni en location simple, mais mise à disposition au moyen d’un contrat souple et sur mesure adapté à ses besoins à tout moment.
F. Par ailleurs, d’autres alternatives de transports en commun basse ou zéro émission émergent aux côtés des véhicules à batteries électriques, tels que les bus électriques à hydrogène (zéro émission) ou les bus au bio gaz naturel (basse émission). Autant d’arbitrages à effectuer pour les investisseurs, opérateurs et autres acteurs de ce secteur, et qui nécessitent un accompagnement stratégique sur mesure.
INTRODUCTION
Les nouvelles réglementations et l’accessibilité économique ont fait naître ou grandir dans de nombreuses villes l’ambition de réduire les émissions de CO2 en mettant en place des flottes de transport public zéro ou basse émission. Par ailleurs, les Accords de Paris pour le Climat ainsi que les lois relatives à la transition énergétique en Europe ont fixé des objectifs précis d’ici 2025 et 2030, en particulier la loi LTECV (Loi de Transition Energétique pour la Croissance Verte ) d’août 2015 en France. Enfin, depuis une dizaine d’années, l’amélioration des performances des batteries électriques, la diversification de l’offre (autonomie, capacité, temps de charge, …), une demande en forte croissance et la baisse des prix ont permis un essor de la mobilité électrique.
Le secteur des transports zéro émission (électrique à batterie ou à hydrogène) ou basse émission (biogaz) se révèle encore plus stratégique dans cette période post-confinement liée au Covid-19, qui a mis davantage en lumière les enjeux de transition énergétique. Comme rappelé par l’ONU, le COVID-19 « donne l’occasion à l’humanité de transformer cette crise en un élan planétaire pour atteindre les objectifs de développement durable d’ici 2030 ».
Cependant, le parcours entre l’ambition et la mise en œuvre est semé d’embûches. Par exemple la ville de Paris, via la RATP et Ile-de-France Mobilités, visait une flotte de bus 100% propres d’ici 2025, avec 80% de bus électriques et 20% de bus à gaz naturel (« plan bus 2025 »), mais les contraintes économiques sont telles qu’aujourd’hui l’objectif est plutôt de remplacer les deux tiers seulement de la flotte par des bus électriques, le dernier tiers étant constitué de bus biogaz (bio-GNV)1. Ces contraintes concernent aussi bien l’investissement financier que les modèles économiques et opérationnels d’exploitation.
Mais commençons par rappeler les enjeux actuels du marché des batteries électriques.
1. LE MARCHE ACTUEL DES BATTERIES ELECTRIQUES
A. L’essor d’une filière industrielle européenne durable et compétitive des batteries électriques
Depuis une dizaine d’années, le marché des batteries Lithium-ion a explosé et, aujourd’hui, deux grandes tendances se distinguent (figure 1) :
• La baisse du prix des batteries Lithium-ion, qui s’élevait à 209$ par kWh en 2017 et devrait descendre sous la barre des 100$ par kWh d’ici 2025 ;
• L’augmentation de la capacité de production mondiale, estimée à 13% par an en moyenne entre 2018 et 2030.
Aujourd’hui, la production mondiale de batteries Li-ion tous usages confondus totalise une capacité de l’ordre de 500 GWh. L’Asie, et en particulier la Chine, est largement leader dans ce secteur : la production chinoise à elle seule représente environ 10 fois la production européenne.
Ainsi, 7 des 10 premiers producteurs de batteries Li-ion au monde sont chinois – le leader étant le géant CATL – représentant une capacité de l’ordre de 300 GWh2.
Figure 1 : Evolution de la capacité de production et des prix des batteries Li-ion tout usage entre 2005 et 20303 4 5
Le sous-périmètre des véhicules électriques à batterie Li-ion représente 70% de ce marché, soit environ 350 GWh. Et 40% de ce sous-périmètre concerne plus particulièrement les bus et autres véhicules commerciaux, soit 140 GWh. Cette production est également largement dominée par la Chine et en particulier l’entreprise chinoise CATL (70%6 du marché des batteries de bus), du fait que l’électrification des flottes de bus en Chine ait été poussée par le gouvernement beaucoup plus tôt qu’en Europe : dès 2009, la ville de Shenzhen a bénéficié de subventions gouvernementales pour le développement de sa flotte électrique.
Même si la production reste majoritairement chinoise, les Etats-Unis et l’Europe devraient gagner des parts de marché : 40% de la production mondiale de batteries électriques en 2030, contre 10% seulement en 2020. Cet essor des capacités de production non-asiatiques conduira à un meilleur équilibre entre offre et demande et participe donc à une baisse des prix, tout comme les gains de productivité des usines du fait d’économies d’échelle, et l’augmentation de la capacité des chaînes de production. Ainsi, la gigafactory du constructeur Tesla dans le Nevada produira 35 GWh annuels en 2020 contre 20 GWh en 2018. De même, la société suédoise Northvolt, partant d’une capacité initiale de 16 GWh, envisage le doublement de la capacité de production de son usine d’ici 2030 et atteindra 150 GWh en 2050.
Pour ce qui est de l’Europe plus particulièrement, la filière européenne se construit là où les risques politiques sont faibles, les incitations financièresimportantes, et les démarches administratives facilitées. Il faut un accès aisé à de la main d’œuvre qualifiée, des ressources énergétiques fiables,ainsi qu’un approvisionnementde matières premières sécurisé. Toutes ces conditions sont réunies en Europe, où l’engagement pour la transition vers un système faible en émission est par ailleurs important. La présence d’ingénieurs hautement qualifiés est également un atout pour les années à venir, dans un contexte d’évolutions technologiques rapides. Tous ces éléments ont fait de l’Europe une zone à haut potentiel pour la production de batteries électriques, et des moyens politiques et financiers importants y sont mobilisés pour faire émerger des projets européens ou transnationaux.
Ainsi, comme le montre la figure 2 ci-dessus, même si l’Asie reste dominante sur le marché des batteries électriques, un rééquilibrage international va s’opérer d’ici 2030, en particulier au niveau européen.
Figure 2 : Evolution de la capacité de production des batteries Li-ion par région (localisation selon le siège social des entreprises)4
La figure 3 présente le panorama actuel de la production de cellules et de batteries électriques en Europe. On y voit la forte implantation d’acteurs asiatiques, ainsi que les projets européens de construction d’usines de très grande envergure, visant à structurer une filière industrielle durable et viable économiquement.
Le programme de l’Union européenne European Battery Alliance (EBA250), lancé en octobre 2017, est constitué de 17 entreprises privées directement impliquées sur toute la chaîne de valeur : BASF, BMW, Eneris, et surtout la coentreprise ACC (Automotive Cells Company) entre PSA (et sa filiale allemande Opel) et SAFT (filiale de TOTAL). Elles sont accompagnées par plus de 120 autres entreprises et organismes de recherche partenaires, ainsi que des acteurs publics tels que la Banque européenne d’Investissement. L’objectif est de développer des technologies hautement innovantes et durables pour des batteries Li-ion (à électrolyte liquide et à semi-conducteurs) plus sûres, plus respectueuses de l’environnement, présentant une durée de vie plus longue et un rechargement plus rapide que celles actuellement sur le marché. EBA250 bénéficie de 5 milliards d’euros de financement privé et 3,2 milliards d’euros de financement public, dont 1 milliard provenant de la France et 1,2 milliard de l’Allemagne.
Figure 3 : Projets d’usines de production de cellules et de batteries en cours en Europe7 8 9 10 11 12
Concrètement, ACC, souvent appelé l’« Airbus des batteries », va construire une usine pilote dans le sud-ouest de la France, puis deux usines de production de cellules pour batteries électriques dans les Hauts-de-France et en Allemagne. Un autre projet majeur, de construction d’une gigafactory, est porté par la start-up française Verkor13 (soutenue notamment par Schneider Electric) et vise à produire des cellules Li-ion pour l’Europe du sud (France, Espagne, Italie) à partir de fin 2023. Ce projet s’inspire directement de la start-up suédoise Northvolt qui a levé 1 milliard d’euros auprès d’investisseurs privés (dont Volkswagen, BMW et Goldman Sachs) pour financer la création d’une usine de production de batteries lithium-ion en Suède. Le projet de Verkor représente 1,6 milliard d’euros d’investissement et l’usine s’étalant sur 200 hectares s’implantera probablement en France. De la même manière, l’entreprise norvégienne Freyr a lancé la construction d’une usine de fabrication de cellules de batterie en Norvège (4,5 milliards d’euros) qui aura une capacité de 32 GWh dès 2023, et sera l’une des plus grandes en Europe.
Enfin, d’autres projets se développent pour construire une filière européenne de recyclage des batteries, étape clé de la chaîne de valeur. Porté par Eramet, BASF et Suez, le projet ReLieVe (Recycling for Li-ion batteries for Electric Vehicle) – avec un budget de moins grande ampleur de 4,7 millions d’euros – vise à développer un procédé innovant et compétitif de recyclage, dit « en boucle fermée », permettant la valorisation du nickel, du cobalt, du manganèse et du lithium dans de nouvelles batteries.
B. De meilleures performances grâce à de nouvelles technologies de conception et de recyclage conduisent à une baisse des coûts de revient
Les performances techniques telles que l’autonomie ou la capacité spécifique (énergie stockée par unité de masse) des batteries électriques devraient tripler d’ici 2030 grâce à de nouvelles technologies de batteries, comme le montre la Figure 4 à droite. Des innovations incrémentales des batteries Li-ion permettront à court terme de remplacer les métaux rares tels que le cobalt et le manganèse, utilisés pour la fabrication des électrodes, trop chers et polluants. La diminution de 33% de la teneur en cobalt, partiellement remplacé par du nickel bien moins coûteux, permettra de compenser l’augmentation du prix du cobalt de 40% prévue entre 2020 et 2030. Avec 60% de nickel, 20% de manganèse et seulement 20% de cobalt, la technologie NMC 622 va remplacer les batteries de type NMC 111 (contenant un tiers de cobalt) et représenter 30% du marché en 2030. A l’horizon 2030, on s’attend à voir apparaitre des technologies de rupture, avec notamment de nouvelles cathodes et avec une électrolyte solide augmentant sensiblement la fiabilité de la batterie. Les batteries actuelles à électrolyte liquide fonctionnent efficacement à température ambiante et sur une plage maximum entre 0° à 45°C14, alors que l’utilisation d’électrolytes solides permet une utilisation plus large, entre -20°C et 100°C15. Par ailleurs, Samsung a récemment breveté une batterie dans laquelle des boules de graphène recouvrent la cathode et l’anode : celle-ci a alors une vitesse de recharge cinq fois supérieure. Les batteries à anodes en silicone, quant à elles, offrent des capacités plus importantes grâce à la substitution de l’anode en graphite habituelle par une anode en silicone issue de la purification du sable.
Figure 4a : Evolution des technologies de batteries à l’horizon 203016 17
Figure 4b : Evolution des parts de marché des différentes technologies de batteries Li-ion à l’horizon 2030
Enfin, les coûts de recyclage devraient décroître à mesure que les techniques actuelles (hydrométallurgie et pyrométallurgie) seront mieux maîtrisées. Une nouvelle technique bien moins coûteuse est en cours de développement, il s’agit du procédé « de valorisation directe » : l’électrolyte et les matériaux constitutifs des cathodes sont récupérés directement pour être réutilisés sans traitement métallurgique. La figure 5 ci-après présente les avantages et inconvénients de chacune de ces méthodes de recyclage.
Figure 5 : Nouvelles méthodes de recyclage : des solutions moins coûteuses et plus respectueuses de l’environnement18 19 20
La conjugaison des éléments précédemment cités (performances améliorées, diminution des proportions de matériaux rares, nouveaux procédés de recyclage) permet une réduction drastique des coûts de revient d’ici 2030, faisant du marché des batteries électriques un secteur prometteur pour les investisseurs. Notre modèle de structure de coût (cf. figure 6 ci-dessous) indique que d’ici 2030, le coût de revient d’une batterie NMC 111 sera réduit d’au moins 25% par rapport à son niveau actuel.
Pour les futures technologies de batterie cette réduction sera plus importante. Par exemple, Tesla annonce une réduction de 56% d’ici 2022 du prix de production au kilowattheure de ses nouvelles batteries grâce à une série d’améliorations techniques. Bien que les coûts soient appelés à diminuer significativement, l’équation financière des flottes de véhicules électriques demeure complexe. Notre analyse du cycle de vie de la batterie, de la structure de coûts et des facteurs de performance permet d’identifier quelques leviers de création de valeur susceptibles de faire toute la différence pour les opérateurs de transport.
Figure 6 : La structure de coût d’une batterie (NMC 111) permet d’anticiper son coût de revient d’ici 2030
2. MAXIMISER LA VALEUR D’UNE BATTERIE GRACE AU DETAIL DES COÛTS AU COURS DU CYCLE DE VIE
A. Une structure de coûts qui révèle les étapes ayant la plus forte valeur ajoutée dans le cycle de fabrication d’une batterie
La chaîne de valeur des batteries électriques se décompose en plusieurs étapes (figure 7) : approvisionnement en matières premières, fabrication des composants chimiques de base, conception et production de cellules générant l’énergie électrique, conception et production de modules, fabrication des packs (protection mécanique contre les chocs, vibrations), intégration de la batterie dans des systèmes intelligents de contrôle et de gestion des performances (Battery Management System) et, enfin, recyclage des composants et métaux en fin de vie, qui implique une revalorisation de la batterie afin de gagner de la valeur.
Figure 7 : Chaîne de valeur d’une batterie électrique : enjeux et challenges21 22
Pour établir la structure de coûts d’une batterie, nous avons étudié chaque étape afin d’évaluer son impact sur la valeur d’une batterie neuve. Quatre types de dépenses sont communs à chaque étape : frais d’achats (matières premières ou composants), coûts de main d’œuvre, frais de R&D et frais fixes (dépenses liées à l’électricité ou aux matériaux supplémentaires nécessaires à la conception des cellules).
L’étape de fabrication des composants de base de la batterie est la plus coûteuse (26% du coût total), car elle concerne les nombreux éléments constituant les électrodes et le solvant contenu dans l’électrolyte. L’intégration de la batterie dans un système intelligent constitue également une étape clé (22%) en raison de l’importance du software pour le suivi des performances de la batterie, qui nécessite un investissement important en R&D. Cette étape est aussi celle qui présente la plus forte valeur ajoutée, dans la mesure où l’augmentation de la production ne va pas conduire à une explosion du coût des recherches R&D, ces dernières ayant déjà été réalisées en amont. Enfin, l’étape de conception et de production de cellules est la 3ème plus coûteuse et est caractérisée par des coûts de main d’œuvre et des frais de R&D significatifs.
Figure 8 : Chaîne de valeur d’une batterie NMC 111 en 202023 24
B. Identification des étapes-clés du cycle de vie pour maximiser la valeur de la batterie
Le State of Health (SoH) d’une batterie, l’état de santé de la batterie, est un indicateur servant à optimiser son utilisation. Les contrats de mobilité auprès d’opérateurs de bus électriques sont généralement prévus entre 100% et 80% du SoH. Au-delà, la batterie n’est plus utilisable avec la même sécurité et la même efficacité, c’est la fin de sa première vie. La batterie est alors à un moment de clé de son cycle de vie où des choix doivent être faits : si les performances le permettent la batterie peut être prolongée dans un autre contrat, ou bien elle peut être réaffectée à du stockage d’énergie stationnaire en seconde vie (pour par exemple équilibrer le réseau), ou encore revendue en fin de vie pour être recyclée et certains de ses composants sont alors raffinés pour être réutilisés.
Figure 9 : Cycle de vie d’une batterie électrique (en fonction du SOH)
Le State of Health (SoH) d’une batterie permet d’évaluer son état. Quatre facteurs peuvent entraîner une dégradation (baisse de la capacité et augmentation de la résistance interne) d’une batterie :
• La température (T) : les températures extrêmes affectent négativement l’état de santé d’une batterie. A hautes températures, l’activité interne des batteries augmente diminuant leur capacité ; et sous 0°C, la résistance interne augmente considérablement, accélérant ainsi le vieillissement des batteries25.
• La vitesse de charge et de décharge (C-rate) : elle correspond à l’intensité du courant électrique traversant la batterie. Plus elle est élevée, plus le vieillissement de la batterie s’accélère.
• L’état de charge (SoC – State of Charge) : il s’agit du pourcentage d’énergie stockée par la batterie, par rapport à son état de charge totale. La capacité de la batterie diminue non seulement durant la charge/ décharge mais aussi, dans une moindre mesure, lorsqu’elle n’est pas utilisée ou stockée si elle n’est pas vide. Un stockage des batteries avec un SoC relativement faible est donc préconisé pour limiter leur dégradation. Pour optimiser sa durée de vie, le rechargement d’une batterie à 100% pour équilibrer des cellules devrait aussi être occasionnel.
• L’état de décharge (DoD – Depth of Discharge) : il représente le pourcentage d’énergie qui a été perdue par la batterie depuis sa dernière recharge et donc caractérise son profil de charge. Plus de DoD est profond plus la batterie se dégrade rapidement. Selon le type de batterie utilisé, le DoD optimal (difficilement possible opérationnellement !) varie entre 50% et 70%.
La connaissance des facteurs de dégradation de la batterie permet d’anticiper cette dégradation en fonction à la fois de l’utilisation qui en est faite, de sa technologie, du suivi de ses performances et de sa conservation. Par exemple, les modes de charge et de décharge varient fortement selon que la batterie est utilisée en zone urbaine ou périurbaine – un usage périurbain conduira à une dégradation plus importante du fait de l’importance des distances parcourues, qui nécessitent des recharges plus fréquentes et rapides.
Partant de ces facteurs, nous avons mis en exergue des leviers créateurs de valeur pouvant être activés pour contrôler et maximiser la valeur de la batterie au cours de son cycle de vie. Ces leviers concernent l’optimisation de l’utilisation, la gestion de ses performances ou encore la gestion des batteries usagées.
Figure 10 : Les 10 leviers créateurs de valeur d’une batterie électrique
Un de ces leviers est le smart charging, c’est-à-dire l’ensemble des technologies intelligentes et innovantes permettant la recharge des bus électriques au moment optimal : non-saturation du réseau en demande d’électricité, absence de concomitance des pics de demande entre ménages et véhicules électriques, par exemple.
Un deuxième levier intéressant concerne l’amélioration des techniques de recyclage, entraînant une dynamique de baisse des coûts de recyclage. En effet, l’amélioration continue des techniques actuelles (hydrométallurgie et pyrométallurgie) et l’apparition de nouvelles techniques efficaces (procédé « de valorisation directe ») contribuent à privilégier au fil du temps une utilisation prolongée de la batterie dans un 2ème cycle de vie puis un recyclage, au lieu d’une utilisation plus courte qui se limiterait au 1er cycle de vie puis à la vente de la batterie.
Enfin, un troisième levier concerne la gestion de la performance de la batterie-, et donc des savoir-faire associés au suivi des performances. Des contrats dits « de maintenance » sont proposés par les fournisseurs de batteries, dans le cadre desquels le suivi se fait en mesurant différents paramètres (SoC, DoD,C-rate, intensité de charge, température en charge/décharge…) via un Battery Management System (BMS) : la batterie subit divers cycles de charge et de décharge en conditions variables, et l’analyse des données collectées par le BMS peut conduire à son remplacement si elle est trop dégradée ou si les conditions d’utilisation du contrat ne peuvent plus être respectées, en particulier de sécurité. Mais ce suivi des performances s’avère actuellement relever davantage d’une assurance que d’une maintenance à proprement parler. C’est pourquoi un levier créateur de valeur consisterait à renégocier le contrat pour le rapprocher des coûts réels de suivi des performances ou bien à internaliser ce savoir-faire pour des raisons plutôt stratégiques que financières. En effet, le contrôle des données d’exploitation et d performance des batteries en temps réel est un enjeu crucial, car il permet d’adapter les technologies de batteries au plus près de l’utilisation qui en est fait.A noter néanmoins que ce dernier levier est difficilement applicable à l’heure actuelle car de nombreux constructeurs de batteries ne permettent pas à leurs clients d’internaliser cette prestation.
A titre d’illustration, nous avons modélisé dans l’exemple ci-après les effets de différents leviers pour une flotte de 25 bus, dans un contexte urbain et dans un contexte péri-urbain. Les alternatives étudiées sont : le smart charging ou non au cours de la 1ère vie, la revente de la batterie ou la réutilisation dans un nouveau contrat en fin de 1ère vie, ou bien encore la réutilisation dans des infrastructures de stockage d’énergie stationnaire en 2ème vie (en tant que réserve de capacité dans ce cas particulier). Nous constatons alors que :
• Le smart charging crée systématiquement de la valeur, et présente en outre l’avantage d’être simple à mettre en œuvre ;
• La régulation de fréquence n’est pas intéressante, en raison d’un coût d’investissement élevé, d’une durée de seconde vie trop faible et d’un prix de revente de l’énergie trop faible en France ;
• L’utilisation dans un nouveau contrat en fin de 1ère vie, plutôt que la revente en fin de 1ère vie, est surtout intéressante dans le scénario urbain, car la batterie se dégrade moins rapidement dans ce scénario.
Autant de facteurs de décisions opérationnelles qui ont un impact réel sur le modèle économique des flottes électriques. Cela dit, au-delà de ces leviers permettant aux opérateurs d’optimiser les performances des batteries, d’autres pistes encore sont à explorer face aux complexités du modèle classique des bus électriques : le premier consiste en un nouveau modèle financier et opérationnel de gestion de ces bus, et l’autre est constitué de modes alternatifs de transport basse ou zéro émission.
Figure 11 : Calcul de la NPV d’une batterie NMC selon l’utilisation et l’activation de certains leviers26 27
3. DE NOUVELLES PERSPECTIVES DANS LA GESTION DES BUS ZERO EMISSION
A. L’émergence de nouveaux modèles économiques : le modèle BaaS
Malgré l’importance des avancées technologiques et la réduction prévisible du coût de revient d’une batterie électrique, les contraintes techniques restent importantes pour les opérateurs de transport électrique. Tout d’abord, l’investissement en capital immobilisé est bien plus important que pour des véhicules classiques (Capital Expenditure supérieur de plus de 50% à celui d’une flotte diesel28). En outre, la maîtrise des performances, la maintenance des batteries et les décisions à prendre lorsque leur efficacité est réduite sont des paramètres complexes à mettre en œuvre pour les opérateurs de bus historiques. Dans ce contexte, l’émergence du modèle BaaS (Battery as a Service) semble naturelle.
Le Battery as a Service consiste à libérer les opérateurs des contraintes et risques liés à la gestion d’une batterie. Le prestataire, l’opérateur BaaS, s’occupe de tous les aspects liés à son utilisation, de la certification de la batterie (conforme aux normes de sécurité ou aux normes environnementales) à son recyclage en passant par le suivi des performances. L’opérateur BaaS s’assure qu’à tout instant le service fourni est conforme aux attentes du client, dans une logique d’optimisation de la valeur. Il se charge ainsi de trouver le contrat et le profil d’utilisation optimal pour la batterie, en fonction de l’étape du cycle de vie – et donc en fonction des performances – de celle-ci à un instant donné. C’est la maîtrise des différents leviers de valeur, ainsi que la connaissance fine des performances de la batterie, qui permettent à l’opérateur BaaS de déterminer le profil parfait de client ou de contrat adapté à sa batterie. Parmi les entreprises de BaaS les plus connues, on peut citer Global Technology Systems, Yuso, Swobbee ou encore Epiroc.
Figure 12 : Trois business models différents
B. Le développement de nouveaux modes de transport basse ou zéro émission
Figure 13 : Prévisions du nombre de bus électriques et à hydrogène jusque 2025
Parallèlement à l’essor des bus à batteries électriques, d’autres mobilités propres se développent, telles que les bus à basse émission fonctionnant au bio Gaz Naturel pour Véhicules (bio-GNV) ou les bus zéro émission à hydrogène. Ces technologies sont en forte croissance à travers le monde, malgré des écarts de maturité selon les pays.
En fonction de la source énergétique locale, les bus fonctionnant au bio-GNV constituent une technologie basse émission (réduction de 25% des émissions de fumées toxiques en comparaison avec les véhicules à essence) qui a l’avantage d’avoir une excellente autonomie et un temps de recharge court. Cependant les infrastructures à mettre en place sont lourdes et coûteuses.
Les bus ZE électriques (batterie ou hydrogène) sont deux technologies complémentaires. En effet la technologie hydrogène (plus coûteuse) est pertinente là où la batterie atteint ses limites ou alors dans de futurs cas (saturation réseau par exemple). Mais surtout, cette technologie zéro émis-sion offre une autonomie importante et des cycles de recharge relativement courts (Air Liquide estime qu’un bus peut être rechargé en moins de 20 minutes29). Néanmoins, l’infrastructure requise est lourde (bornes de rechargement en hydrogène) et le réseau est pour le moment inexistant ou à l’état embryonnaire dans la plupart des grandes villes. De nombreuses agglomérations françaises ayant néanmoins manifesté leur intérêt pour cette technologie en lançant des projets pilotes, le récent plan de relance du gouvernement à la suite de la crise sanitaire consacrera plus de 7 milliards d’euros sur 10 ans à cette énergie d’avenir, afin de construire des usines capables de produire notamment les électrolyseurs (permettant de transformer l’électricité en hydrogène par l’électrolyse de l’eau). Le Plan hydrogène prévoit par ailleurs un financement de 1,5 milliard d’euros pour développer une filière industrielle de l’hydrogène à l’image de ce qui a été réalisé pour les batteries électriques – cela en coopération avec l’Allemagne.
Figure 14 : De nouveaux types de mobilités faible ou zéro émission30 31
CONCLUSION
L’enjeu principal d’évolution du secteur des batteries électriques est de démultiplier significativement l’offre, afin de suivre l’augmentation considérable de la demande. Ce chantier se traduit actuellement par la mise en place d’une filière européenne durable et compétitive de production et de recyclage des batteries.
En parallèle, les technologies de batteries s’améliorent, ces dernières gagnant en autonomie et en capacité spécifique. Les méthodes de recyclage font également l’objet d’innovations techniques cruciales qui devraient mener, par ailleurs, à une diminution importante du coût de revient d’ici 2030.
Cependant, les contraintes restent importantes pour les acteurs de la mobilité électrique : l’importance de l’investissement en capital, la maîtrise des performances des batteries et la complexité des décisions à prendre lorsque leur efficacité commence à décroître sont autant de paramètres qui ont favorisé l’émergence de nouveaux modèles économiques d’utilisation de batteries, tels que le modèle BaaS, mais aussi d’autres modes de mobilité propres qu’il convient de suivre de près, tels que les bus à hydrogène.
Ces évolutions, de modèles économique et de technologie, devraient conduire les acteurs historiques et les nouveaux entrants du secteur des transports zéro émission à redéployer leur stratégie et politique d’investissement. Dans cette phase de mutations importantes pour l’ensemble du secteur, Accuracy a développé un cadre d’accompagnement stratégique, afin que ces acteurs identifient et saisissent les opportunités réellement durables et rentables de la chaîne de valeur.
Malgré certaines annonces alarmantes et des appréhensions compréhensibles, la vague de défaillances ...
La lutte contre le réchauffement climatique et la guerre en Ukraine ont mis sur le devant de la scèn...