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L’ANGLE ACADÉMIQUE – TEMPS ET RISQUE DANS L’ÉVALUATION D’ENTREPRISE. L’EXEMPLE DES CONCESSIONS AUTOROUTIÈRES.

La valeur d’un actif peut être appréhendée aisément à  travers les prix observés sur un marché où des actifs  comparables sont échangés. C’est l’approche analogique  de l’évaluation. Une solution alternative consiste à  répliquer dans un modèle d’évaluation la façon dont  ces prix se forment sur le marché. C’est l’approche  intrinsèque de l’évaluation et le principe fondateur de la  méthode DCF, méthode phare de cette seconde approche  de l’évaluation.

Le point de départ de l’approche intrinsèque est la définition  du concept de valeur financière selon lequel la valeur d’un  actif repose sur les flux de trésorerie que le détenteur  de cet actif est susceptible de percevoir dans le futur.

Comme ces flux interviennent à des dates échelonnées dans le temps et sont soumis à des aléas, le modèle doit nécessairement  intégrer le comportement de l’investisseur à l’égard de deux paramètres : le temps et le risque. La théorie financière nous indique  comment intégrer ces deux paramètres isolément, c’est-à-dire intégrer le temps sans considération du risque et intégrer  le risque dans le cadre d’un modèle monopériodique (i.e. sans considération du temps).

S’agissant de la prise en compte du temps, les modèles utilisent la technique de l’actualisation, c’est-à-dire l’hypothèse  communément acceptée selon laquelle l’individu exprime une préférence pour le présent. Sur les marchés financiers où, à  travers l’acquisition de titres de créance considérés comme sans risque (bons du Trésor ou emprunts d’État), on échange  implicitement du temps (i.e. une somme d’argent détenue aujourd’hui contre une somme d’argent disponible à une date  ultérieure), le taux de préférence des individus pour le présent se traduit logiquement par l’existence d’un taux d’intérêt positif.

Ce taux d’intérêt sans risque matérialise un principe de base  de la finance : « la valeur temporelle de l’argent » (un euro  d’aujourd’hui n’est pas équivalent à un euro de demain, car  l’euro perçu aujourd’hui, placé au taux d’intérêt sans risque,  donnera plus d’un euro demain). Fondée sur ce principe,  la technique de l’actualisation permet d’agréger des flux  (supposés sans risque) intervenant à des dates échelonnées  dans le temps, en les ramenant à la date d’aujourd’hui par le  truchement du taux d’intérêt, et de déterminer ainsi la valeur  de l’actif associée à cette chronique de flux.

S’agissant de la prise en compte du risque, le modèle  couramment utilisé par les évaluateurs est le Modèle  d’Evaluation des Actifs Financiers (Medaf). Ce modèle  repose sur une segmentation du risque en deux composantes : (i) le risque spécifique (ou risque diversifiable), que  le détenteur de l’actif peut éliminer en diversifiant son  patrimoine, (ii) le risque systématique (ou risque non  diversifiable), qui reste supporté par l’investisseur dont le  patrimoine est parfaitement diversifié. Selon la formule du  MEDAF, la rentabilité exigée sur un actif financier est égale  au taux d’intérêt sans risque plus une prime de risque qui ne  dépend que du risque systématique (le marché ne rémunère  pas la fraction diversifiable du risque). Grâce au Medaf, on  sait calculer la valeur d’un actif générant un flux risqué sur  une période unique : c’est le flux moyen (ou flux « espéré »)  actualisé au taux de rentabilité donné par la formule. Les  deux composantes du risque de l’actif sont bien prises en  compte : le risque spécifique au travers du calcul du flux  espéré (soit, en théorie, la moyenne des flux anticipés dans  les différents scénarios possibles, pondérée par la probabilité  d’occurrence desdits scénarios), et le risque systématique via  l’actualisation du flux espéré à un taux « risqué » intégrant  une prime de risque.

Cependant, dans la pratique, il faut bien prendre en compte le  fait que les évaluations portent sur des entités générant  des flux sur plusieurs périodes (voire sur un horizon infini),  ce qui conduit les évaluateurs à s’écarter du cadre théorique  évoqué ci-dessus pour intégrer les paramètres temps et  risque dans le même modèle (autrement dit, conjuguer le  risque avec le temps).

L’intégration usuelle du risque dans le taux d’actualisation  peut conduire à sous-estimer notablement l’entité  évaluée : l’exemple des concessions autoroutières.

La démarche usuellement retenue par les praticiens pour  intégrer le risque consiste à transposer le Medaf dans un  cadre multipériodique. Concrètement, les prix du temps et  du risque (systématique) sont intégrés simultanément,  sur la durée de vie des entités évaluées, via l’actualisation  des flux futurs espérés à un taux risqué unique, égal au taux  d’intérêt sans risque majoré de la prime de risque (constante)  issue de la formule du Medaf.

La démarche alternative intègre successivement (et non simultanément) les paramètres temps et risque : le paramètre risque, dans un premier temps, via la  détermination de « flux équivalents certains » et le paramètre  temps, dans un second temps, via l’actualisation de ces flux au taux d’intérêt sans risque. Les flux équivalents certains  intègrent la totalité du risque et sont donc inférieurs aux flux  espérés qui n’intègrent que la fraction diversifiable du risque.

La difficulté de la démarche alternative réside dans  la détermination des coefficients d’ajustement  à  appliquer  aux  f lux espérés pour obtenir les  flux équivalents certains.  Ces coefficients peuvent  ê t r e  e s t i m é s  d a ns  l e  c adr e  t h é o r iq u e  d u  Medaf, mais la formule de  calcul, plutôt alambiquée, s’avère inapplicable dans la pratique. Soulignons  par  a i l leurs  que,  dans  le  cadre  d’une  évaluation  d’entreprise, l’évaluateur doit d’abord apprécier le  degré d’optimisme du plan d’affaires, avant même  de s’interroger sur les modalités d’intégration du risque. S’il estime disposer d’un plan d’affaires représentatif du  scénario moyen associé aux flux espérés, il pourra soit  actualiser ces flux au taux risqué du Medaf, soit déterminer  des flux équivalents certains et les actualiser ensuite au taux d’intérêt sans risque. S’il estime disposer d’un  plan d’affaires plutôt conservateur, voire pessimiste,  l’évaluateur ne peut mettre en œuvre la démarche  usuelle sans ajuster les flux du plan à la hausse, mais il  peut en revanche opter directement pour la démarche  alternative en considérant que les flux du plan donnent une estimation raisonnable des  flux équivalents certains.

L a  démarche  usuelle d’intégration du risque  s’avère critiquable, car  en utilisant la technique  de  l ’actualisation  pour  conjuguer le risque avec le temps (alors que cette technique n’est a priori destinée qu’à  prendre en compte la valeur temporelle de l’argent), elle  formule implicitement une hypothèse forte sur l’évolution du  risque systématique en supposant que ce risque augmente  fortement avec le temps. La démarche alternative apparaît  plus solide, car en traitant séparément les problématiques  relatives à l’intégration du temps et du risque, elle ne  formule aucune hypothèse a priori sur l’évolution du  risque, ce qui permet de traiter de façon rigoureuse tous  les cas d’évaluation et notamment l’évaluation d’activités qui bénéficient d’une bonne visibilité sur une longue  durée (par exemple les projets d’infrastructure) et pour  lesquelles l’hypothèse d’une augmentation croissante du  risque avec le temps est particulièrement contestable.

A  titre  d’illustration,  considérons une concession  autoroutière susceptible de  générer en moyenne un flux  annuel de 800 M€ sur une  durée de 30 ans (l’inflation  est supposée nulle). Sur la  base d’un taux d’intérêt (réel)  sans risque de 1,5%, d’un  coefficient bêta d’activité de

0,5 et d’une prime de risque de marché de 5,5%, le taux de  rentabilité donné par la formule du Medaf s’élève à 4,25%  et la valeur de la concession selon la démarche usuelle  d’intégration du risque ressort à 13 423 M€ (valeur actuelle  du flux annuel de 800 M€ au taux de 4,25%). Compte tenu  de la bonne visibilité sur le chiffre d’affaires qui, malgré une  base de coût relativement fixe, confère à l’activité un faible  risque systématique (attesté par le coefficient bêta de 0,5),  il apparait raisonnable de fonder la détermination des flux  équivalents certains sur un coefficient d’abattement constant

de 0,15. Sur cette base, la valeur de la concession selon la  démarche alternative ressort à 16 331 M€ (valeur actuelle  du flux annuel équivalent certain de 680 M€ au taux d’intérêt  sans risque de 1,5%). L’écart avec l’estimation donnée par  la démarche usuelle est d’environ 22% et provient des  hypothèses implicites formulées sur l’évolution du risque  dans le temps. Avec la  démarche alternative, le risque est supposé invariant  (l’abattement pratiqué sur  le flux espéré au titre du  risque est de 15% quelle  que soit l’année considérée),  alors qu’avec la démarche  usuelle, le risque augmente  fortement avec le temps (l’abattement pratiqué au seul titre du risque passe ainsi  de 10% en année 4 à 21%, 31%, 40% et 50% en années  9, 14, 19 et 26, soit une progression très importante  que le profil de risque de l’activité ne saurait justifier). En conclusion, utiliser la démarche usuelle d’intégration  du risque pour l’évaluation d’activités bénéficiant d’une  bonne visibilité sur une longue durée est critiquable  et peut conduire à des sous-évaluations notables.