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Comment la banque de détail peut se fabriquer un avenir ?

 

La banque de détail subit une baisse de sa rentabilité depuis dix ans

Sous pression depuis de nombreuses années, le métier de la banque de détail a connu une forte dégradation de sa rentabilité. De 17% en moyenne pour les banques françaises en 2000, celle-ci a fortement chuté après 2008 pour se stabiliser autour de 8 à 9% depuis quelques exercices. Le price to book est à l’avenant, avec des valeurs autour de 0,5 en moyenne, et une fourchette allant de 0,3 à 0,7 en Europe.

Cette détérioration a de fait banalisé le secteur bancaire par rapport à bien d’autres. Son ROE est aujourd’hui inférieur à celui de secteurs tels que les télécoms ou les biens de consommation, sans parler de la santé, nouvel eldorado des investisseurs. Quant au price to book, celui du secteur bancaire est l’un des pires tous secteurs confondus après avoir longtemps caracolé en tête.

L’une des causes de cette banalisation réside dans l’anémie de la marge d’intérêts. Comparée à celle de 2009 sur l’ensemble des banques françaises, celle-ci a chuté de 10% en dix ans, alors même que les encours ont, au cours de cette période, augmenté de plus de 10%. Cette course aux volumes et aux encours est néanmoins désormais bien plus difficile à mener du fait de son coût en RWA, et donc en fonds propres.

Dans ce contexte, les banques françaises sont toutefois parvenues à afficher des résultats plutôt stables en 2018. Le PNB global de la banque de détail des six principales banques de la Place est stable par rapport à 2017, autour de 60 milliards d’euros. Quant au résultat net de ce même métier, il est lui aussi resté stable à environ 18 milliards d’euros, malgré quelques légères variations d’un établissement à l’autre.

Cette stabilité ne saurait cependant masquer l’ampleur des défis qui vont toucher le secteur dans les années à venir, après pourtant déjà dix années de vaches maigres. Il est possible d’en compter au moins cinq, quatre appartenant à la sphère financière et réglementaire, et un à la sphère commerciale, probablement la plus dangereuse à long terme. Conjugués ensemble, ces défis peuvent entamer les ROE de 2,5 points supplémentaires d’ici 2025.

 

Quatre défis affectent la sphère financière et réglementaire

Le premier défi est d’ordre nucléaire pour le métier. Il s’agit, naturellement, du niveau des taux. La banque de détail joue un rôle majeur dans l’économie, en assurant la fonction fondamentale de transformation de ressources à court terme, les dépôts, en ressources à long terme, les prêts immobiliers et aux entreprises notamment. L’ALM est cœur de cette transformation, qui nécessite une courbe des taux croissante, avec idéalement une pente de 2%.

Or, la politique monétaire mise en place après la crise de Lehman Brothers a conduit à une double baisse des taux : les courts dans un premier temps, par l’abaissement des taux directeurs, et les longs dans un deuxième, par les programmes de quantitative easing. La pente en Europe est progressivement devenue quasi nulle. Or, gagner de l’argent avec une pente nulle est un défi aux lois fondamentales du métier, qui, de fait, se trouve dans une situation inédite et dangereuse.

Le deuxième défi concerne les fonds propres. Entre 2005 et 2018, les banques françaises dans leur ensemble les ont plus que doublé sous l’effet de Bâle 3. Ils représentaient fin 2018 près de 300 milliards d’euros contre 130 en 2005. Mais après Bâle 3 voici que Bâle 4 s’annonce. L’impact sera certes beaucoup moins élevé que celui évoqué précédemment, mais cette hausse pourrait encore amputer le ROE de quelques précieux dixièmes de point.

Troisième défi, conjoncturel cette fois : le coût du risque. Tous métiers confondus, il est passé de 0,1% des encours en 2005 à près de 1,3% en 2009, avant de retrouver progressivement des niveaux d’avant crise, autour de 0,3% en 2018. Cependant, si la conjoncture devait se dégrader, la courbe pourrait à nouveau s’inverser. Chaque dixième de point de coût du risque en plus représente deux milliards d’euros pour les banques françaises. Ce n’est pas négligeable.

Dernier défi de la sphère financière et réglementaire, en théorie aléatoire, mais au final plutôt structurel depuis une dizaine d’années : les amendes. Depuis 2007, les régulateurs européens et américains ont infligé 230 milliards d’amendes aux banques internationales, dont les subprimes ont représenté près de 70%. On peut donc penser que le pire est passé, mais la fraude et le blanchiment pourraient bien prendre le relai des subprimes et poursuivre la saignée en cas de manquements.

Au final, ces quatre défis pourraient amputer le ROE des banques françaises de presque deux points de ROE supplémentaires, ramenant le secteur à des niveaux extrêmement bas à un horizon de cinq ans. Au-delà de la performance en elle-même, c’est aussi un handicap au moment où il faudrait investir massivement pour répondre au défi suivant, celui du fonds de commerce et du développement.

 

Le défi commercial constitue la menace principale sur le long terme

Ces quatre défis ne constituent pourtant pas l’essentiel des menaces qui affectent le secteur. La sphère commerciale n’est en effet pas exemptée de difficultés, avec un renforcement constant de l’intensité concurrentielle liée à trois facteurs : l’abaissement des barrières à l’entrée, la transformation des usages et la révolution technologique en cours. De nouveaux acteurs en profitent, les néobanques, qui menacent ainsi les banques traditionnelles.

Si l’on refait un peu l’histoire des néobanques depuis 30 ans, on peut considérer qu’il y a eu deux phases. La première a vu des distributeurs, comme Carrefour et Casino, et des assureurs, comme Axa et Allianz, étendre leurs offres à des services bancaires, dans une logique de fidélisation de la clientèle notamment. En réponse, les banques traditionnelles ont le plus souvent créé des banques en ligne, dans une logique de rétention.

Depuis les années 2010, le contexte a changé, et de nouvelles catégories d’acteurs ont tenté de pénétrer le marché, avec des modèles relativement opposés. Les premiers sont des acteurs tels que Revolut ou N26, qui tentent de créer ex nihilo des banques low cost mais avec une offre complète, en nouant notamment des partenariats. Ces acteurs sont dans une course de vitesse afin d’atteindre une taille critique.

Les deuxièmes nouveaux entrants sont des acteurs des nouvelles technologies, qui entrent par la porte des services, les paiements notamment, et ne cherchent pas à imposer d’emblée une gamme complète de services. Il peut ici s’agir d’Apple Card ou d’Apple Pay, mais aussi d’Amazon dans l’assurance par exemple. Ces acteurs participent ainsi au mitage progressif des revenus des banques traditionnelles.

Ce phénomène de mitage ne cesse de prendre de l’ampleur, sous l’effet de l’arrivée chaque année d’environ 300.000 clients dans les néobanques. Au départ, le PNB par client y est très inférieur à celui d’une banque traditionnelle, le client n’ouvrant souvent qu’un compte secondaire. Mais avec le temps, et la complétude progressive des gammes de produits, l’équipement s’accroît et le compte peut basculer en principal.

Les néobanques imposent de nouveaux standards en matière de qualité, de deux façons. D’abord, par des taux de satisfaction élevée sur les applications digitales. Certaines banques traditionnelles ont néanmoins déjà réagi en procédant à un upgrade significatif de leurs applications. Les néobanques ont ensuite imposé l’ouverture de compte immédiate, en quelques minutes, assez loin des standards traditionnels.

Néanmoins, malgré des succès commerciaux parfois indéniables, aucune néobanque n’est parvenue à trouver le chemin de la rentabilité, l’agressivité des offres de bienvenue étant souvent un frein à celle-ci.

 

De ce fait, le modèle des banques traditionnelles peut paraître à court terme encore partiellement protégé

Usuellement, la banque de détail est présentée sous la forme de deux univers complémentaires : le premier, non bilantiel, comprend les services relatifs aux paiements et à la banque au quotidien ; le deuxième, bilantiel, recouvre l’épargne, le crédit et l’assurance. Depuis quelques années, un troisième univers a émergé chez quelques acteurs, sous la forme de services de proximité complémentaires, tels que la téléphonie ou la domotique.

Les barrières à l’entrée des deux univers principaux ont globalement baissé ces dernières années, mais de façon non homogène. Concernant l’univers non bilantiel, elles ont fait l’objet d’un double abaissement, à la fois réglementaire (DSP2, open banking, RGPD…) et technologique (progrès du digital, intelligence artificielle). L’univers bilantiel est mieux protégé, via les réglementations multiples sur les fonds propres et la liquidité, mais subit malheureusement le fléau de l’absence de pente lié à l’aplatissement de la courbe des taux.

Dans ce contexte, le risque pour les banques traditionnelles est de devenir simplement le bilan d’autres acteurs qui capteraient la relation client. Les banques traditionnelles ont l’avantage du savoir-faire et de l’existence d’un réseau de distribution, mais elles sont en général moins en pointe sur l’expérience client et la technologie par rapport aux banques en ligne et plus encore aux fintech.

Néanmoins, le réseau physique est un vrai avantage et facteur différenciant fort, pour au moins trois raisons. Il est d’abord vecteur de proximité dans un contexte de redécouverte du centre-ville depuis quelques années. Il facilite également le contact humain, permettant un vrai dialogue avec le consommateur et l’apport de conseils sur-mesure. Enfin, le passage en magasin a un vrai sens dans une période du tout numérique.

D’ailleurs, le numérique ne répond pas à 100% des besoins relatifs aux services financiers. L’univers le plus menacé est bien sûr celui de la banque au quotidien et des paiements, très sensibles à la vitesse et au prix, deux facteurs bien servis par le digital. En revanche, l’univers bilantiel est moins vulnérable, et la possibilité de rencontrer un conseiller demeure un avantage dans l’octroi d’un crédit immobilier ou le conseil sur de l’épargne.

 

Les banques traditionnelles doivent continuer à accélérer leur mutation commerciale et organisationnelle

Afin de résister à la montée en puissance des nouveaux acteurs, l’univers non bilantiel se doit d’être upgradé au niveau des meilleures pratiques en matière de digital et de mieux encore différencier sa tarification en fonction des clients. Quant à l’univers bilantiel, il doit capitaliser sur l’existence d’un réseau physique souvent placé dans des endroits d’excellence, d’accroître encore la qualité du conseil apporté et de mettre en place des programmes de fidélité mieux segmentés.

Ces constats dessinent un plan d’action en forme de triptyque, reposant sur la diversification, l’ubiquité et un usage respectueux des données.

La diversification est clef pour permettre aux banques traditionnelles de sortir de l’équation impossible d’un univers non bilantiel ouvert à de nouveaux acteurs plus agiles et d’un univers bilantiel soumis à des taux asphyxiants. L’extension vers de nouveaux services de proximité permettrait de développer les revenus tout en accentuant le lien et le contact avec leur fonds de commerce.

Ces services doivent dans un premier temps être définis par adjacence par rapport au cœur de métier actuel, autour des événements majeurs de la relation. Le logement, et l’acquisition immobilière notamment, s’y prêtent naturellement très bien. Mais il est possible d’aller au-delà, vers les services relatifs aux déplacements, voire à certains loisirs. Ces élargissements successifs permettront aux banques de devenir un acteur clef du quotidien de leurs clients.

L’ubiquité est le deuxième axe, très complémentaire du premier. Le réseau physique, bien que coûteux, constitue un avantage majeur pour les banques traditionnelles. Il reste à les transformer pour en faire des lieux de vie à même de faire revenir une large clientèle. Mais il faudra aussi concilier ce réseau physique avec un digital irréprochable, développé en interne ou via des partenariats avec des fintechs.

Cependant, les banques ne pourront tirer profit pleinement de l’avantage de leur réseau physique que si elles parviennent à délivrer dans le même temps la qualité de conseil attendue par leurs clients. Il faudra pour ce faire répondre à trois attentes majeures : une stabilité de la relation client / conseiller ; une attention particulière dans les moments clefs de la vie (chômage, retraite, divorce) ; un conseil personnalisé pour certains produits (assurance vie, crédit immobilier notamment).

Enfin, les banques traditionnelles ont un rôle majeur à jouer dans l’utilisation de la donnée, en devenant un partenaire de confiance de leurs clients et en prenant ainsi le contrepied des GAFA. Si elles y parviennent, elles peuvent regagner des points dans la bataille de l’image. D’autant plus que clients semblent prêts à partager leurs données si cela va de pair avec une meilleure qualité de conseil.

Ces trois axes peuvent constituer le cœur d’un plan à cinq ans visant à regagner tout ou partie des points de ROE qui vont être perdus. Ces actions ne seront néanmoins pas suffisantes, et viendront compléter les plans d’économies et de simplification des process déjà lancés dans tous les établissements, et qui vont devoir encore être accélérés.

Dans un contexte aussi tendu de toute part, le métier est un peu à la croisée des chemins, sommé de se réinventer pour prendre en compte les changements dans les usages et l’arrivée de nouveaux acteurs, tout en étant privé d’une partie de ses moyens financiers pour investir de par l’absence de pente. Face à ces défis, tous les acteurs ne sont pas égaux, et les établissements ne suivront probablement pas tous la même trajectoire.