ACCOMPAGNEMENT DES START-UPS
EN SYNTHESE
A l’heure où l’innovation devient plus que jamais le moteur de toutes les économies, les start-ups sont placées en première ligne en raison de leur structure simple et agile qui leur permet de s’aventurer dans les secteurs les plus prometteurs.
Toutefois, le développement de l’innovation ne peut aboutir sans un écosystème complet et adapté, rassemblant un ensemble d’acteurs (organisations, entreprises, start-ups, universités, investisseurs), qui interagissent et s’associent pour l’émergence de projets innovants.
Cette étude décrit les dynamiques qui façonnent l’écosystème d’innovation marocain, entres stratégies nationales et initiatives privées. Notre cartographie des structures d’accompagnement permet notamment de prendre la mesure d’un enjeu stratégique, pour tout pays cherchant à profiter pleinement de son potentiel de talents et d’entrepreneurs.
En effet, l’innovation constitue un levier décisif pour la croissance et le développement économique d’un pays.
A. Les structures d’accompagnement des porteurs de projets innovants se sont multipliées au Maroc, fruits d’une volonté politique et d’initiatives privées.
B. Néanmoins leur présence sur le territoire marocain demeure inégale et polarisée autour de la région de Casablanca.
C. Les grandes entreprises marocaines contribuent progressivement à l’écosystème d’innovation et commencent à intégrer l’open innovation comme levier de création de valeur.
D. L’innovation d’origine marocaine, mesurée en termes de demandes de dépôts de brevets et de levées de fonds des start-ups, reste en dessous de son potentiel.
1. LES STRUCTURES D’ACCOMPAGNEMENT DE L’INNOVATION AU MAROC
QUEL EST LE PAYSAGE DE L’INNOVATION AU MAROC AUJOURD’HUI ?
A. Des structures de plus en plus nombreuses
Les structures d’accompagnement sont constituées de structures physiques et non physiques : (i) incubateurs et accélérateurs, (ii) espaces de coworking, (iii) programmes d’accompagnement et (iv) programmes de financement. D’après nos recherches, il existe 74 structures d’accompagnement actives et en projet.
Parmi ces structures, le Technopark a été pionnier et constitue un cas d’école. Créé en 2001, et fruit d’un partenariat public-privé, les Technoparks sont gérés par le MITC (Moroccan Information Technopark Company), dont les actionnaires fondateurs sont l’Etat marocain (35%), la Caisse de Dépôt et de Gestion (17,5%) et des banques marocaines (47,5%). Le MITC propose des espaces et accompagne les porteurs de projets en les faisant bénéficier de son écosystème privilégié. Le modèle a été dupliqué à Rabat en 2012, Tanger en 2015 et bientôt à Agadir (ouverture prévue en 2021). Le Technopark a accompagné plus de 1 100 entreprises en particulier dans les secteurs TIC 1, Green Tech et de l’industrie culturelle depuis sa création. S’il est communément répandu que les start-ups ont besoin d’un accompagnement financier et spécialisé, la nécessité de les intégrer au sein d’une communauté pour échanger entre elles est primordiale. En effet, la communauté représente une intelligence collective très riche et diverse qui permet aux start-ups de discuter dans le cadre d’espaces de co-working, d’échanger sur les bonnes pratiques et de se constituer un réseau pour se développer.
C’est dans ce sens que de nouvelles structures ont vu le jour au Maroc, proposant des services d’accompagnement, de formation et de mentoring. Ces structures d’accompagnement organisent différents évènements comme des hackathons, c’est-à-dire des événements où des équipes variées (composées de développeurs, mais aussi de chefs de projets) doivent répondre à une problématique stratégique en délivrant un PoC 2 (en général un logiciel ou une application) en un temps très réduit. En décembre 2019, Emerging Business Factory a ainsi organisé le premier « Hackathon de l’eau » à Marrakech ayant pour objectif de faire de l’utilisation de l’eau dans la région un mode de consommation durable et éco-responsable.
D’autres structures d’accompagnement ont mis en place des espaces de co-working pour tous ceux qui veulent se lancer dans l’entrepreneuriat et qui cherchent une communauté de partenaires. New Work Lab, espace dédié au développement des startups marocaines à travers l’organisation de rencontres, de formations et la mise à disposition d’un espace de co-working fondé en 2013 à Casablanca, en est un bon exemple.
Cartographie des structures d’accompagnement des start-ups
B. Une répartition géographique encore inégale
Si les structures d’accompagnement se concentrent majoritairement aux alentours de Casablanca, des dynamiques régionales, fruits d’une forte volonté politique, se dessinent, à travers :
• La duplication du Technopark dans les autres villes du Royaume ;
• Des projets d’aménagement du territoire, tels la cité de l’innovation de la région Souss-Massa, qui prévoit la mise à disposition de laboratoires R&D aux porteurs de projets ou encore le pôle urbain de Mazagan aménagé par l’OCP et l’Etat ;
• Des dispositifs d’accompagnement à envergure nationale, avec par exemple le Réseau Entreprendre Maroc et Injaz Al-Maghrib qui accompagnent les porteurs de projets ou encore le programme de financement Fonds Innov Invest. Toutefois, certaines grandes villes marocaines, telles Fès et Meknès, ont une offre d’accompagnement largement en dessous des besoins d’une population étudiante importante, tels les étudiants de l’Université Euro-Méditerranéenne de Fès (UEMF). Lors de la rentrée 2017, cette université rassemblait déjà plus de 1 300 étudiants et chercheurs 4 présentant un potentiel de talents et d’entrepreneurs à ne pas négliger.
C. Des structures essentiellement généralistes et soutenues par une grande diversité de sponsors
Si une écrasante majorité (75.7%) des structures d’accompagnement sont généralistes, trois spécialisations se démarquent :
• Les TIC, notamment grâce à l’essor des Fintechs collaborant avec des groupes (exemple : StartOn, Fintech Challenge) ;
• Les Green Tech, le Maroc s’étant fixé l’objectif de réduire sa dépendance énergétique et d’investir dans les énergies renouvelables (exemple : social Greentech Bidaya) ;
• L’économie sociale et solidaire, en s’appuyant par exemple sur le sport pour créer un lien entre l’emploi des jeunes et l’esprit entrepreunarial (exemple : TIBU Maroc).
Il est également intéressant de relever que les sponsors des structures d’accompagnement sont diversifiés : 57% des structures d’accompagnement sont soutenues par au moins deux organisations (accompagnement, soutien financier etc.). Par ailleurs, 32% de ces structures proviennent d’un partenariat public-privé. Les initiatives d’accompagnement des entrepreneurs s’inscrivent ainsi dans une démarche d’intelligence collective, de mutualisation des ressources entre acteurs complémentaires, en bref, d’open innovation.
2. UNE IMPLICATION CROISSANTE DE GRANDES ENTREPRISES
COMMENT LES GRANDES ENTREPRISES MAROCAINES SE SAISISSENT-ELLES DU SUJET DE L’INNOVATION ?
A. L’OCP : un poids lourd de l’économie nationale et un modèle global d’innovation
Les entreprises marocaines intègrent progressivement l’open innovation et la numérisation dans leurs organisations et sensibilisent leurs collaborateurs à la culture de l’innovation comme le démontre l’exemple du groupe OCP.
OCP est le leader mondial des phosphates et la première entreprise industrielle marocaine. Le Groupe met notamment en oeuvre un programme d’investissement ambitieux (2008-2027) : le Groupe a pour ambition de doubler ses capacités minières et de tripler ses capacités de transformation.
OCP a ainsi a amorcé plusieurs chantiers afin de dynamiser l’innovation au Maroc et au sein du groupe. En plus de structures d’accompagnement physique, de nombreux programmes ont été mis en place comme par exemple la SeedStars Startup Competition ou le programme d’accélération Impulse en partenariat avec Mass Challenge, comme détaillé ci-dessous.
Le milieu universitaire nous ouvre l’accès à d’innombrables centres de recherche
à travers le monde et à l’open innovation […] Quand nous sommes dans l’université,
un autre dialogue s’instaure, beaucoup plus productif
Mohamed Soual, chef économiste à OCP.
B. Une implication croissante des banques marocaines
Les banques marocaines ne sont pas en reste. Attijariwafa Bank et BMCE Bank of Africa ont été pionnières dès 2001 en finançant le Technopark Casablanca, et ont été très actives ces cinq dernières années dans la promotion de l’innovation.
Les initiatives des banques marocaines en faveur des entrepreneurs les ont naturellement conduits à structurer et internaliser la démarche d’innovation pour améliorer leurs processus et leurs offres, dans un contexte de numérisation accrue. Une gestion déléguée à un pure player de l’accompagnement est souvent essentielle afin de faciliter la coopération et maximiser la création de valeur entre les parties prenantes, qui peuvent avoir des cultures très différentes, notamment lorsqu’il s’agit de partenariats public-privé. Si l’écosystème autour des start- ups s’est renforcé avec le lancement de plusieurs dispositifs de soutien, d’accompagnement et de financement (comme détaillé ci-contre), le nombre d’entreprises technologiques innovantes, mesurées en termes de brevets d’invention et de levées de fonds, demeure en dessous du potentiel du Maroc, comme détaillé dans les pages suivantes.
Gestion des structures d’accompagnements créées par les entreprises marocaines appartenant au Moroccan All Shares Index (MASI)
3. L’INNOVATION ET SON FINANCEMENT AU MAROC
COMMENT A EVOLUE L’INNOVATION AU MAROC CES QUINZES DERNIERES ANNEES ?
A. Les stratégies d’industrialisation successives ont contribué à élever le niveau global d’innovation
Evaluer de manière exhaustive le caractère innovant d’un pays est un exercice qui contraint à prendre en compte l’environnement institutionnel, les infrastructures, la formation, la R&D, la structure du marché et la création. Le Global Innovation Index 2019 classe le Maroc au 74e rang mondial parmi 126 pays, sur la base de 80 variables allant de la facilité à obtenir un crédit à la protection des intérêts minoritaires dans une entreprise. Cet index distingue aussi les variables d’inputs qui définissent le potentiel d’innovation du pays des variables d’outputs qui mesurent l’innovation effective.
Nos analyses se concentrent sur les deux critères d’outputs nous ayant paru les plus tangibles : le dynamisme de la recherche à travers les demandes de dépôts de brevets (moteur de l’industrie) et les levées de fonds des startups technologiques et numériques, qui témoignent du potentiel de développement économique.
La mise en parallèle de l’évolution de ces variables avec les plans successifs d’industrialisation mis en place par le Ministère de l’Industrie, du Commerce, de l’Economie Verte et Numérique depuis le milieu des années 2000 fait apparaître une corrélation. Comme le montre la figure ci-après, grâce aux politiques industrielles, ainsi qu’à la stabilité dont bénéficie le Royaume et sa proximité avec l’Union Européenne, le Maroc s’est imposé comme une destination privilégiée pour les investisseurs étrangers.
Depuis 2005, trois grandes stratégies d’industrialisation se sont succédées avec un effet considérable sur l’évolution du nombre de demandes de dépôts de brevets. Néanmoins, ces effets semblent différenciés selon la nature des acteurs. En effet, les demandes déposées par des non-résidents ont triplé entre 2014 et 2018 tandis que celles réalisées par des résidents marocains ont presque été divisées par deux sur la même période.
Le dynamisme de la recherche nationale semble en perte de vitesse, et reste majoritairement le fait des universités (58% en 2018), lorsque les entreprises marocaines n’ont déposé que 9% des demandes de brevets d’invention.
Dans le même temps, la forte augmentation des demandes d’origine étrangère témoigne d’une attractivité renforcée et s’explique par deux facteurs. En premier lieu, la présence d’acteurs étrangers s’est intensifiée au Maroc et ce dans diverses filières comme l’automobile et l’aéronautique suite au Plan d’Accélération Industrielle. En second lieu, la mise en place d’un nouveau mode de dépôt des brevets par l’Office Européen des Brevets, grâce à un partenariat en 2015 avec le Ministère marocain de l’Industrie, du Commerce, de l’Économie Verte et Numérique, permet désormais aux demandeurs de dépôt de brevet au sein de l’Union Européenne de demander également une protection pour leur brevet dans le Royaume. Ainsi, les Etats-Unis (20%) et les pays européens, France et Allemagne (8% chacun) en tête, sont les plus représentés parmi les pays d’origine des demandeurs de brevets.
Demandes de dépôts de brevets d’invention au Maroc (2005 – 2018) et stratégies d’industrialisation
Note :
Nous avons pris le parti d’étudier l’évolution du nombre de dépôts de brevets en raison de la facilité d’accès à ces données, s’ils permettent d’avoir une vision des effets des politiques industrielles successives ils ne permettent pas de porter un jugement sur l’ensemble de leurs effets.
B. Mais les montants levés par les start-ups restent modestes par comparaison à d’autres pays de la région
Enfin, les levées de fonds constituent un autre indicateur du dynamisme du secteur de l’innovation. S’il est complexe d’établir un lien de causalité entre ces dernières et la pratique du dépôt de brevets, ces deux phénomènes constituent des indicateurs complémentaires du dynamisme de l’innovation dans les pays concernés.
Au-delà de l’innovation, la diffusion de la pratique des levées de fonds traduit notamment la participation croissante des acteurs privés, nationaux et internationaux, au financement de l’innovation. En ce sens, de faibles montants peuvent cacher la prédominance du financement de l’innovation par des capitaux publics ou son internalisation par les entreprises déjà existantes.
En termes de levées de fonds, le Maroc figure à la 12e place africaine en 2019 avec 7 millions USD levés par les start-ups technologiques et numériques (contre 3 millions USD en 2018, 15e place) 5. Nous avons rassemblé des données permettant de comparer les situations de l’Algérie, de la Tunisie, du Nigéria, du Kenya et de l’Egypte avec celle du Maroc. Nous avons mis les montants collectés en perspective des PIB respectifs de ces pays. Enfin, pour tous ces pays à l’exception de l’Algérie – pour lequel nous ne disposons pas de données suffisantes – nous avons étudié l’évolution des levées entre 2018 et 2019.
De manière générale, nous constatons une croissance des levées de fonds sur ces deux années. Ainsi, le Maroc, le Kenya, le Nigeria, l’Egypte et la Tunisie font tous face à une hausse significative des montants récoltés. Concernant les montants en eux-mêmes, le Kenya et le Nigeria se distinguent nettement des autres pays. Si dans le cas du Nigeria cela peut être notamment expliqué par la taille de l’économie du pays (368 milliards USD en 2018), le cas du Kenya est différent (87 milliards USD en 2018). A titre de comparaison les montants levés au Maroc paraissent faibles rapportés au PIB du pays (120 milliards de dollars en 2018). Au-delà de la différence de structure des économies considérées, ce résultat peut s’expliquer de différentes manières : moindre accès aux financements, conduite de ces dernières dans d’autres pays, existence de modes de financement alternatif, ou encore moindre diffusion de la pratique des levées. Cette dernière explication semble d’autant plus pertinente qu’il existe une réelle différence entre l’Afrique francophone (Maroc, Algérie, Tunisie) et anglophone (Kenya, Nigeria, Egypte) comme le montre les chiffres de notre étude.
Evolution des levées de fonds entre 2018 et 2019
Source : Partech (levées de fonds) et la banque mondiale (PIB)
Si ces chiffres peuvent être utilisés à l’échelle macroéconomique pour mesurer des tendances telle que l’ouverture de certaines économies aux capitaux extérieurs, ils révèlent aussi l’état d’appropriation de certaines bonnes pratiques par les acteurs locaux. Dans ce contexte, les politiques publiques peuvent jouer le rôle de facilitateur dans une approche « top-down ». Néanmoins les réalités locales ne oivent pas être ignorées. En effet, au-delà des politiques publiques, ce sont les jeux d’acteurs et la qualité des interactions qui permettent la co-construction de programmes innovants et déterminent le dynamisme d’un secteur. L’exemple de l’OCP abordé dans la partie 2 est à e titre évocateur et souligne l’importance d’impliquer l’ensemble des acteurs dans la mise en place d’un écosystème d’innovation.
Ainsi, la diffusion des meilleures pratiques inspirées des pays étrangers pourrait renforcer les écosystèmes locaux. De telles mesures seraient de nature à permettre la réalisation du potentiel d’innovation de pays comme le Maroc, en favorisant l’essor des start-ups.