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Accuracy Talks Straight #4 – Zoom sectoriel

Banque de détail, la querelle des anciens et des modernes

David Chollet
Associé,
Accuracy

Nicolas Darbo
Associé,
Accuracy

Amaury Pouradier Duteil
Associé, Accuracy

La banque de détail est un secteur dont le rythme de transformation va aller en s’accélérant dans les prochaines années. Ces dix dernières années ont surtout vu les modes de distribution évoluer vers davantage de digitalisation, sans toutefois remettre en cause le modèle physique. Dans les dix ans qui viennent, dans un monde où la technologie va progressivement permettre de servir les grands univers de besoins via des plateformes, il faudra faire évoluer à la fois l’offre, la distribution et les solutions technologiques.

1. LES TRANSFORMATIONS À L’OEUVRE

Inutile de revenir trop longtemps sur le contexte dans lequel la banque de détail se déploie depuis plusieurs années, avec trois défis principaux : des taux ultra-bas, une réglementation qui s’est considérablement durcie depuis 2008 et la survenance de nouveaux acteurs.

Au-delà de ce contexte, le secteur connaît des mutations technologiques majeures. La première d’entre elles concerne la donnée. Ainsi, l’open banking désigne une tendance de fond qui pousse à l’ouverture des systèmes d’information des banques et le partage des données de leurs clients (identité, historiques de transactions…). Un nouvel écosystème bancaire ouvert se dessine progressivement, dans lequel de multiples acteurs (banques, établissements de paiement, éditeurs technologiques…) partagent des données et intègrent les services des uns et des autres dans leurs propres interfaces, permettant à de nouveaux services et outils de voir le jour.

Autre évolution majeure : la BaaS, ou bank As A Service. Historiquement, la banque de détail était une industrie de coûts fixes. L’ouverture des donnée, la bascule sur le cloud et l’APIsation des systèmes bancaires rendent désormais caduques ces modèles de production fermés et verticalement intégrés. Chacune des briques de production des services financiers peut désormais être proposée « As-a-service ». Cette transformation conduit à une bascule d’un modèle économique à coûts fixes vers une logique de coûts variables. En externalisant leur banking system, les challengers digitaux peuvent ainsi se lancer avec des coûts et des délais compressés.

Enfin, le secteur ne peut pas rester complètement à l’écart du phénomène des super-apps qui progressivement modifient les usages en agrégeant des services issus d’univers de besoins très différents. Cette évolution peut lentement rendre obsolète la façon de servir les clients et nécessite probablement le développement de ce que l’on pourrait qualifier de « finance embarquée ».

2. L’AVENIR DES ACTEURS TRADITIONNELS

Les banques traditionnelles ont globalement résisté aux vents contraires cités précédemment, avec, depuis dix ans, des revenus qui ne se sont pas effondrés, même si leur croissance s’est avérée plutôt modérée.

Les acteurs traditionnels conservent un certain nombre de points forts. D’abord les banques historiques disposent de gammes de produits complètes, qui couvrent bien sûr la banque au quotidien (compte, carte, forfaits…) mais aussi les univers bilanciels du crédit et de l’épargne. Ranger l’informatique des grandes banques dans les points forts peut sembler provocateur. Néanmoins, ces grands systèmes, à défaut d’être agiles, sont souvent d’une très grande robustesse, tout en ayant permis de réduire l’écart technologique avec les néobanques. Enfin, les acteurs traditionnels sont puissants financièrement, et capables d’investir pour accélérer sur un plan technologique quand il le faut.

Ces acteurs ont quelques points faibles naturellement. Le principal concerne l’expérience client. Mais le sujet ne concerne pas l’écart avec les néobanques, qui a été le plus souvent comblé, mais plutôt avec des acteurs purement technologiques par exemple. Dans le mouvement de convergence des univers de besoins, cela peut constituer un handicap pour le secteur financier dans son ensemble. Un autre point faible concerne la faible marge de manoeuvre en matière de réduction des effectifs ou des agences s’il fallait mettre en oeuvre des programmes massifs de baisse des coûts.

Ces acteurs déploient ou vont devoir déployer plusieurs natures de stratégies. Il y a d’abord des actions de nature financière, soit de concentration, soit de restructuration. La concentration vise à céder toutes les activités éloignées des marchés principaux pour être le plus gros possible sur les marchés domestiques. Les restructurations, en Espagne notamment, mais aussi en France avec le rapprochement SG et CDN, visent à abaisser le point mort.

D’autres actions devront être mises en oeuvre par les banques. Sur le plan informatique, il arrivera un moment, plus très loin, où le manque d’agilité des systèmes historiques ne sera plus compensé par leur robustesse. Les évolutions vont s’accélérer et la vitesse d’évolution va devenir clef.

Enfin, les acteurs traditionnels vont devoir repenser leurs modèles de distribution à l’aune du digital et de la convergence du service des grandes natures de besoins, qui vont permettre la finance embarquée. L’idée de cette dernière est d’intégrer la souscription du produit financier directement au parcours de consommation ou d’achat du client. Le service financier devient ainsi disponible de façon contextuelle et digitale.

3. L’AVENIR DES NÉOBANQUES

Les néobanques se sont développées par vagues successives depuis plus de vingt ans, et la dernière vague a vu apparaître des acteurs se développant rapidement et acquérant des clients par millions et capable de lever des fonds colossaux sur la promesse d’un basculement massif de clients vers leur modèle.

Le premier point fort des néobanques concerne leur technologie. Etant partis de zéro sur le plan de l’IT, elles ont pu s’appuyer sur la BaaS pour développer exactement ce dont ils avaient besoin et avec le bon niveau d’expérience client. Par ailleurs, ces acteurs ciblent généralement des segments précis et proposent en conséquence une offre et un parcours client parfaitement adaptés, ce qui est plus difficile pour les grandes banques généralistes.

Les points faibles sont souvent le corollaire de leurs points forts. L’offre limitée permet certes de mieux répondre à certains besoins précis, mais dans un monde où la technologie permet l’émergence de plateformes multi-services, n’adresser qu’une partie des besoins en matière de services financiers ne va pas forcément dans le bon sens et place les néobanques à la périphérie d’un métier qui lui-même n’est pas le mieux placé dans le mouvement de convergence des besoins. Mais si l’offre est limitée, ce n’est pas forcément par choix. Développer l’univers du crédit et de l’épargne, le plus souvent absent au sein des néobanques, nécessiterait de changer de dimension en matière de contrôles et de consommation de capital notamment. Enfin, la conséquence de cette offre limitée est l’incapacité à capter en masse le client le plus rentable de la banque de détail, le bancarisé principal. Cela explique la faiblesse des revenus, qui plafonnent à vingt euros par client.

Cela ne condamne pas forcément l’avenir des néobanques. Déjà, il faut distinguer les pays matures des pays non matures en matière de bancarisation. Dans les pays peu bancarisés, les néobanques ont souvent un boulevard devant elles, à l’image de Nubank au Brésil (40 millions de clients). Dans les pays ultra-bancarisés, l’histoire est différente. La faiblesse des revenus et le mouvement de convergence des grandes natures de besoin devraient obliger les néobanques à réaliser des choix. Elles peuvent étendre d’urgence leur offre au bilan, comme Revolut semble l’entrevoir. Elles peuvent aussi décider de sauter l’étape du bilan pour élargir directement leur offre à d’autres univers de besoins, comme le réalise Tinkoff. Elles peuvent enfin se faire racheter par un acteur traditionnel qui y verrait un intérêt sur un plan technologique, sans trop tarder néanmoins.

Le secteur de la banque de détail est plus que jamais sous le coup de transformations majeures, soit endogènes, comme celles qui touchent à la donnée et à la BaaS, soit exogènes, comme le développement de plateformes servant plusieurs natures de grandes besoins, avec à l’origine un souhait de « simplification » de la part des consommateurs. Dans ce contexte, les acteurs t raditionnels se doivent d’adresser deux sujets majeurs : la finance embarquée d’une part, et peut-être la bascule « à terme » vers des systèmes réso lument plus agiles pour rester compétitifs. Quant aux néobanques, il faudra d’urgence étendre l’of fre au bilan, au risque de perdre en agilité, soit à d’autres univers de besoins.

Mais le secteur financier dans son ensemble devra probablement chercher à simplifier drastiquement la consommation de leurs services, face à des acteurs non financiers qui ont déjà opéré cette transformation.

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