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Accuracy Talks Straight #3 – Regard sur l’économie

La Chine, ou quand un risque peut en cacher un autre !

Hervé Goulletquer
Senior Economic Advisor, Accuracy

Si on s’intéresse en ce début d’automne à l’économie chinoise, deux dynamiques se dégagent. D’abord et du côté de la macroéconomie, une vraie déception côté croissance du PIB a été enregistré au cours du troisième trimestre. Celle-ci n’a été que de 0,2% T sur T. Pour mémoire, le consensus des économistes réalisé par l’agence Bloomberg, l’un des agrégateurs de prévisions les plus regardés, tablait à la mi-septembre sur une progression de plus de 1%. Le phénomène ne serait cependant pas durable et dès le quatrième trimestre le pays retrouverait une performance tendancielle (autour de 1,5%, T sur T). Même en acceptant l’augure, n’y a-t-il pas un risque d’être une nouvelle fois surpris négativement à brève échéance ?

Chine : le passage à vide ne durerait pas

Ensuite, en focalisant cette fois-ci sur la microéconomie, il y a le dossier Evergrande. Il s’agit du plus grand promoteur immobilier, qui le temps passant s’est transformé en une sorte de conglomérat. Il n’arrive pas à honorer des dettes ou des coupons arrivant à échéance. Il faut dire que le montant des premières est élevé : plus de 300 milliards de dollars au total ou près de 2% du PIB du pays (dont 90 milliards de dette financière – crédit bancaire et obligation –, 150 milliards de dette commerciale, y compris les dépôts des acquéreurs de logements à construire et 80 milliards de hors bilan – avant tout les produits de placements émis par la société –). Le cash disponible ne couvrirait que 40% de la dette à court terme (maturité inférieure à 12 mois). Avant le démarrage du processus de séparation d’une partie des actifs, on estimait qu’une « vente à la casse » impliquerait une dévalorisation de la dette (haircut) de quelque 50%.

Il faut remarquer que le cas d’Evergrande, aussi emblématique et médiatisé que la société soit, n’est pas unique. D’autres promoteurs se mettent en situation de défaut ; même quand ils sont en mesure de payer ce qu’ils doivent. Ils arguent d’un durcissement de la réglementation, qui entrave fortement le bon développement de leurs affaires et… tentent de passer le mistigri à leurs créanciers. Ou, pour mieux dire, de créer suffisamment de scandale et d’embarras pour forcer les pouvoirs publics à revoir leur attitude.

Evergrande : des prix d’actif franchement à la baisse

Un évènement de crédit majeur dans un environnement économique brusquement dégradé et voilà le regard qui devient plus inquiet : et si la Chine n’était plus un pôle de stabilité dans un monde qui en a bien besoin ?

En fait, l’Administration Xi (du nom du Président Xi Jinping) a bien ouvert une phase de restructuration/consolidation de l’économie du pays ; avec comme ambition de renforcer ses fondamentaux. Sans doute pensait-elle que l’environnement international était propice à cela. Le reflux de l’épidémie de COVID, le retour de la croissance mondiale et un Président des Etats-Unis a priori plus coopératif devaient créer les conditions d’une demande extérieure suffisamment porteuse pour compenser les « couacs » au niveau des dépenses domestiques que les réformes, même bien inspirées et bien menées, ne manqueraient pas d’occasionner.

Disons que, comme c’est souvent le cas dans la vie, le déroulé des choses n’est pas exactement comme prévu !

LE GOUVERNEMENT DE PÉKIN A OUVERT TROIS CHANTIERS : L’IMMOBILIER, L’ENDETTEMENT ET LES INÉGALITÉS. TOUS DOIVENT ÊTRE RÉDUITS.

Commençons par l’immobilier. Son poids total dans l’économie, en prenant en compte les effets induits amont et aval, est estimé entre 25% et 30%. L’ordre de grandeur évoque ce qu’on a pu connaître en Espagne ou en Irlande avant la grande récession de 2008. N’y a-t-il pas dans ce rappel une invitation à prévenir plutôt qu’à guérir une fois la bulle immobilière éclatée ? De plus et surtout, les besoins sont devenus moins prégnants (sauf importante vague de migration des campagnes vers le villes), alors même que les prix sont devenus vraiment élevés. Une moyenne de 42 m2 par habitant d’un logement se compare tout à fait à ce qu’on peut connaître dans les grands pays d’Europe de l’ouest. Le ratio prix de l’immobilier sur revenu moyen des ménages dépasse les 40 à Pékin ou Shanghai (chiffres de 2018). S’il se compare à Hong Kong, il est très inflaté par rapport à Londres ou Paris (autour de 20), sans même parler de New York (12). Le niveau observé dans les grandes villes chinoises ne peut se comprendre que si la croissance économique et la démographie restent suffisamment fortes pour justifier une demande de biens immobiliers toujours très dynamique et donc maintenir des anticipations de hausse de prix de l’immobilier. On sait que la démographie n’ira pas dans ce sens et on sent que le potentiel de hausse du PIB va ralentissant.

Empêcher la formation d’une bulle immobilière peut être aussi perçue comme une ardente obligation. D’abord, préserver la capacité d’initiatives du système financier n’est-il pas une nécessité à un moment de changements structurels de l’économie engagés ? L’exposition de celui-ci sur le secteur immobilier est importante, entre 50% et 60% du total du crédit bancaire distribué. Ensuite, moins d’investissement immobilier permettrait, au moins toutes choses égales par ailleurs, d’augmenter l’effort porté sur celui en biens d’équipement ou en produits de la propriété intellectuelle. Le profil tant de la productivité que de la croissance économique pourrait s’en trouver améliorer.

Exposition de crédit au secteur immobilier

Passons à l’endettement. Celui des entreprises non-financières est élevé ; en fait parmi les plus élevés des pays qui comptent autour du globe. Ils représentent 160% du PIB du pays. On peut évidemment mettre en avant les niveaux beaucoup plus raisonnables enregistrés pour les ménages et les administrations publiques et ainsi insister sur une moyenne très « présentable ». Il n’empêche que se lancer dans des réformes économiques, qui ne manqueront pas de faire des perdants à côté des vainqueurs espérés, en partant d’une situation de dette importante dans le secteur des corporates, est inconfortable. Et encore plus si on prend aussi en compte l’effet de ricochet sur le système financier des difficultés rencontrées par un certain nombre d’entreprises.

On doit alors comprendre que l’importance donnée à une plus grande stabilité du système financier risque de peser sur la croissance économique. Raison de plus, comme on le soulignait précédemment, pour s’assurer d’un fléchage plus efficace de l’investissement : vers là où le potentiel de croissance durable et inclusive est le plus important.

Le fil qui passe de l’immobilier à l’endettement conduit aux inégalités. Elles sont trop élevées et Pékin ambitionne de les réduire. Ce qu’on vient de décrire concernant l’« aventure » de l’immobilier chinois, auquel il faut ajouter le développement de la Tech, avec son corolaire de surperformances boursières, a contribué à une augmentation qui les positionne aujourd’hui au niveau des Etats-Unis. Le 1% le plus riche détient 30% du patrimoine de l’ensemble des ménages. La part a doublé en 20 ans (de 1995 à 2015). Cette évolution apparaît, aux yeux de Pékin, come porteuse d’un risque de remise en cause de la stabilité politique. La classe moyenne n’appelle-t-elle pas de ses voeux, pour ce qu’on en comprend, une réduction de ces inégalités ?

Aussi dit, aussitôt fait ; pourrait-on avoir envie de dire. Le Président Xi n’est pas une personne à trainer. Un grand nombre de mesures ont été prises afin de rendre effective cette triple ambition. Elles concernent pour beaucoup les secteurs de la Tech et de l’immobilier et incitent à un comportement davantage moral de la part des citoyens. Le tableau ci-dessous propose une synthèse des changements engagés.

Tout ceci a un pouvoir de déstabilisation ! S’assurer du bon parallélisme, entre l’impact des décisions qui vont peser sur la croissance (immobilier, financement et Tech) et celles à venir qui doivent la doper (volonté d’augmenter le contenu en valeur ajoutée de l’économie chinoise, moindre dépendance de l’étranger et dynamisation « saine » de la demande intérieure, pour pointer ce qu’on comprend), va demander beaucoup de doigté de politique économique. Même dans un système encore assez étatisé, cela tient de la gageure. Bénéficier d’une environnement extérieur porteur est sans doute aujourd’hui une « ardente obligation » pour Pékin. Et tant pis si c’est contradictoire, au moins dans un premier temps, avec l’ambition de s’autonomiser davantage par rapport au reste du monde. En est-on là ?

Chine : vers une nouvelle décomposition de l’investissement fixe

Chine : des inégalités devenues une question politique

Une dette des entreprises chinoises non-financières parmi les plus élevés

Pas vraiment, avec un environnement international compliqué (de l’épidémie de COVID qui n’a pas disparu à la persistance des tensions sino-américaines en passant par une économie mondiale encore convalescente)… Il va falloir arbitrer entre le souhaitable (les réformes intérieures) et le possible (les degrés de liberté offerts par la conjoncture économique et politique extérieure). Ce qui voudra dire accélérer quand c’est possible et ralentir quand c’est nécessaire. La tâche est ardue pour le responsable de politique économique et son suivi par la communauté des affaires, pas toujours simple !

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