
2021 : année éristique ! | 4 minutes de lecture

Hervé Goulletquer
Senior Economic Advisor
Gillian Tett, une des rédactrices en chef du Financial Times, remarquait récemment que, cette année à New York, les gens avaient plus de mal à se séparer de leur sapin de Noël. Comme si la crise de la COVID modifiait notre rapport au temps et aux lieux. Les vies privée et professionnelle s’entrecroisent, tout comme la résidence et le lieu de travail se confondent. Nos repères sont-ils en train de changer ? Va-t-on les retrouver quand l’épidémie aura enfin été mise derrière ?
Sans doute faut-il garder à l’esprit cette alerte sur de possibles changements comportementaux en cours, quand on s’interroge sur ce que nous réserve l’année 2021. Bien sûr, on se doit de commencer cet exercice de projection par jeter un œil sur les prévisions macroéconomiques. Elles sont porteuses d’espoir. Le FMI vient de revoir à la hausse son chiffrage pour la croissance mondiale : +0,3 point à 5,5%, après -3,5% en 2020. Comme si la perte d’activité économique générée par la crise sanitaire allait être plus que rattrapée ! Peut-on alors dire que tout rentre dans l’ordre, avec un retour au business as usual ?
En fait non et il faut sans doute multiplier les approches pour appréhender la période qui s’ouvre devant. Proposons-en quelques-uns :
Ne quittons pas de suite le terrain macroéconomique et notons plusieurs points.
1. La reprise reste très conditionnée par les développements sur le front sanitaire. Que le reflux de l’épidémie soit plus tardif ne serait-ce que de quelques mois et voilà un premier semestre en partie perdu pour la reprise ; la performance annuelle en sera nettement affectée. Prenons l’exemple de la Zone Euro. La croissance a reculé de plus de 7% en 2020. Sous l’idée communément acceptée d’un net reflux de l’épidémie à compter du printemps, le rebond atteindrait entre 4% et 4,5% cette année. Décalez le reflux d’un trimestre et la croissance se trouve amputée de l’ordre d’un tiers !
2. Les « gros chiffres » de croissance dont on parle ne doivent pas masquer le point que retrouver la trajectoire anticipée avant l’épidémie va demander du temps. Selon la Banque Mondiale, il manquerait en 2022 4000 milliards de dollars de richesses créées. C’est peu ou prou la taille de l’économie allemande et cela fait donc beaucoup. Faut-il craindre d’être « condamné » à un nouvel épisode de ralentissement de la croissance potentielle, suite à une crise majeure, même si son origine n’est ni économique, ni financière ? Pour s’assurer de ne pas devoir répondre positivement à la question posée, s’engager dans une politique de relance, privilégiant l’offre à la demande, apparaît nécessaire. Cela sera-t-il le cas ?
Il faut aussi s’interroger sur ce qu’il y a derrière ces chiffres qui retracent les évolutions d’agrégats économiques très larges. Dans des moments compliqués, comme ceux vécus à l’heure actuelle, on observe souvent, derrière les moyennes affichées, une augmentation des écarts-types. Ainsi, certains ménages, certaines entreprises ou certains pays souffrent davantage. Les personnes les moins qualifiées ont été plus impactées par le retournement du marché du travail. Combien de temps faudra-t-il pour que l’amélioration de l’emploi aille jusqu’à eux ? Il est clair aussi que les perspectives ne sont pas les mêmes pour une petite entreprise du secteur du tourisme que pour une autre intervenant dans le digital et dont les activités sont déployées autour du globe. Enfin, un pays largement présent dans les industries manufacturières et disposant d’importantes marges de manœuvre de politique de soutien (l’Allemagne par exemple) s’en sort mieux qu’un autre spécialisé dans les services à contenu en main d’œuvre élevé et contraint par des comptes publics dégradés depuis longtemps. Il faut alors s’interroger sur les implications de cette divergence sur l’économique, le social et le politique. Vers moins de croissance (la théorie du convoi ?), plus d’inégalités et au final des Sociétés moins harmonieuses, tant à l’intérieur de chacune qu’entre elles, et donc plus difficiles à gérer ? Si c’est le cas, quelles mesures devraient-elles être prises pour parer à ces risques ?
Il y a aussi les modifications de comportements induits par la crise.
1. Toute une série d’innovations déjà en cours accélère ; qu’il s’agisse de digitalisation, de vente à distance, de télétravail, de télémédecine, d’intelligence artificielle ou de biotechs. Certains secteurs (les services de transport et les branches industrielles en amont par exemple) auront à se réinventer.
2. Les ménages et les entreprises pourraient modifier leur arbitrage entre dépense et épargne : vers davantage de précaution, « juste au cas où », et donc un niveau d’épargne plus élevé ? Les implications économiques et financières seraient importantes : une tendance de l’investissement en retrait et des taux d’intérêt s’équilibrant une nouvelle fois un cran plus bas qu’auparavant.
3. Les responsables des politiques publiques font alors face à un environnement compliqué à appréhender dans tous ses aspects : gérer le passé (une dette publique alourdie et élevée) et préparer l’avenir (faciliter les changements structurels vers la transition énergétique et environnementale et aussi vers le digital). Avec au final quelles conséquences sur le profil de la productivité et de la croissance ou sur la performance financière des entreprises ? Au bout de combien de temps tout ceci sera visible, si tant est que cela arrive ?
Quand demain ne se dessine pas très bien, il est humain de s’accrocher à ce qu’on connaît, c’est-à-dire à hier. Mais ce back to basics ne fait sens qu’en tant qu’appui pour sauter vers les opportunités offertes par un monde qui change : « le vieux, la crise, le neuf », comme souvent. Gardons plus longtemps que d’habitude notre sapin de Noël si cela nous rassure ; mais soyons surtout attentifs aux signaux faibles d’un monde en transformation. Car c’est ainsi qu’on avance !